
Etat des lieux et analyses des pistes possibles de la réforme de la fiscalité avec Jean-François Lucq, ingénieur patrimonial chez KBL Richelieu.
La réforme de la fiscalité du patrimoine, lancée en fanfare par le Président de la République, semble se perdre dans des débats byzantins. Il est intéressant de faire aujourd’hui l’état des lieux des propositions en présence, parfois cohérentes, parfois contradictoires, pour permettre au citoyen-contribuable de suivre les débats avec lucidité.
1/ Diminution de recettes fiscales : le grand soir, ou le bricolage ?
A/ Le « grand soir »
Il est articulé autour de deux axes : la suppression de l’ISF, ainsi que celle du bouclier fiscal. Cette réforme a le mérite de la simplicité. Elle pose deux types de problème, l’un d’ordre financier (coût estimé à 3,5 Milliards d’euros), l’autre d’ordre politique (une sanction éventuelle des électeurs en 2012).
B/ Le bricolage
Depuis que l’ISF existe, un grand nombre de mesures ponctuelles ont été prise, ajoutant ici, retranchant là, et une correction de plus ne déparerait pas au patchwork qui fait la joie des spécialistes, et le désespoir des contribuables.
La première piste de réflexion consiste à diminuer le nombre de redevables sans supprimer l’ISF. Ce résultat peut être obtenu soit en rehaussant le seuil de taxation (qui passerait de 800 000 euros à 1 300 000 euros), soit en procédant à une diminution de la taxation de la résidence principale, par un abattement plus généreux en pourcentage (qui passerait de 30 à 50%) ou en montant (300, voire 500 000 euros).
La seconde proposition consiste à supprimer le seul bouclier fiscal, mais à supprimer également le plafonnement du plafonnement de l’ISF introduit dans notre législation par le gouvernement Juppé. Il convient ici de rappeler que le principe du plafonnement de l’ISF était jusqu’alors identique à celui du bouclier, le total d’un certain nombre d’impôts limitativement énumérés (pas tous identiques à ceux du bouclier) ne pouvant excéder 85 % des revenus de référence (eux aussi différents de ceux du bouclier) du foyer fiscal. Une telle mesure permettrait aux titulaires du bouclier de conserver un avantage non négligeable, bien que diminué.
2/ Augmentation des recettes consécutives à la diminution des rentrées examinées ci-dessus
Les contraintes budgétaires nécessiteront vraisemblablement une augmentation des recettes, dont le montant dépendra étroitement de celui des largesses accordées. Plusieurs pistes sont à l’étude.
A/ La taxation de la plus-value sur la résidence principale
Suggérée par le Ministre de l’Economie, une telle mesure ne s’appliquerait qu’au-delà d’un certain seuil de plus-values. Elle ne semble pas avoir les faveurs de l’Elysée, ni du Ministre du Budget.
B/ La taxation aux prélèvements sociaux des plus-values immobilières, quel que soit le délai de détention du bien.
La mesure avait été à l’ordre du jour lors de la discussion budgétaire autour de la loi de Finances pour 2011, et son examen explicitement réservé aux débats à venir lors de la loi sur le patrimoine. Elle pourrait bien ressurgir opportunément.
C/ Une recette déjà inscrite dans les textes : la prise en compte dans le revenu de référence des produits des actifs en euros des contrats de capitalisation et d’assurance-vie, qu’il y ait ou non rachat sur le contrat.
On le sait, à compter du premier juillet prochain, les prélèvements sociaux vont ponctionner les revenus des actifs en euros chaque année, et non plus au moment d’un rachat. La loi de Finances pour 2011 a discrètement précisé que, comme ces prélèvements feront partie des impôts de référence du foyer fiscal, le revenu de référence correspondant sera constitué par le produit total de l’actif en euros, qu’il y ait ou non rachat ! Un exemple simple permettra de comprendre que cette seule mesure suffira à diminuer grandement le montant global des dégrèvements obtenus au titre du bouclier fiscal, pour le limiter à son destinataire initial (l’agriculteur de l’Ile de Ré).
Mme M. vient de vendre son entreprise, et dispose de 10 000 000 d’euros, qu’elle décide de placer sur un contrat multi-support investi en euros. Ce contrat générant 3,5% de rendement annuel, Mme M. décide d’effectuer un rachat partiel de 350 000 euros. Au regard de la règlementation, ce rachat sera considéré comme constitué d’intérêts à hauteur de 3,38%, et comme un remboursement du capital investi, à hauteur de 96,62%. Dans « l’ancien régime » du bouclier fiscal, le revenu de référence de Mme M. était de 11 836 euros. Le total de ses impôts ne pouvait dépasser 50% de ce revenu, soit 5 918 euros. Mme M. ayant acquitté un ISF de 113 000 euros, le total de remboursement cumulé au titre du plafonnement et du bouclier se montait à 107 082 euros.
Dans le nouveau régime, le revenu de référence de Mme M. sera constitué par l’intégralité du produit en euros de son contrat, soit 350 000 euros. Elle devra donc acquitter son ISF de 113 000 euros au taux plein, et pourra faire son deuil du bouclier.
Le débat qui va s’ouvrir ne manquera sans doute ni de rebondissements ni de coups de théâtre. Autant que faire se peut, cette chronique tentera d’en suivre les péripéties et d’en rendre compte en temps réel.
Jean-François Lucq
Ingénieur patrimonial chez KBL Richelieu.