
Cela fait maintenant trois mois que le Monde Arabe est plongé dans le chaos. Bouleversant l’histoire, ces soulèvements ont également une résonnance mondiale.
« La validité de presque tous les régimes du Monde Arabe est expirée depuis plusieurs décennies. Ils auraient du prendre fin dès la fin de la Guerre Froide » constate Khattar Abou Diab, politologue expert en relations internationales. Pour lui, l’évènement majeur ayant entraîné le soulèvement social est du à une contestation passée du rang social au politique, entraîné par la crise économique mondiale. Pourtant, la Tunisie est arrivée en première position du classement du Forum Economique Mondiale en termes de compétitivité sur le continent africain. Alors comment expliquer ce soulèvement inattendu ? Pour le politologue, la crise est surtout générationnelle : « Le problème est né sous la barre des jeunes de 25 ans. Le peuple avait soif de liberté. Ils voulaient seulement de la dignité, du pain et une liberté sociale. Ce n’était en aucun cas lié à une quelconque idéologie, à l’Islam, ou au pouvoir. C’est aussi une question d’éthique : les gouvernements touchaient beaucoup d’argent qu’ils finissaient par gaspiller ».
Des répercussions économiques
Ce contexte entraîne d’importantes modifications de l’économie arabe et mondiale. Pays basés essentiellement sur le tourisme, les flux vont mettre un certain temps à se régénérer. « En Tunisie, il existe la perspective d’un marché intermaghrébin, mis à mal actuellement. En Libye, la configuration est tribale. Si la situation reste chaotique, on peut attendre le pire sur le prix des barils de pétrole. Il faut aussi compter sur sa circulation qui est totalement entravée » commente Khatar Abou Diab. De fait, l’or noir atteint des niveaux jamais atteints depuis septembre 2008, le prix du panier de brut dépassant la barre des 105 dollars. En Europe, le baril de Brent a augmenté d’1% à la mi-journée, atteignant 107 dollars. Premiers touchés par cette crise du pétrole, les compagnies aériennes. Air France KLM a du réviser ses objectifs de résultat d’exploitation annuel, le titre perdant actuellement plus de 4% à 11.67 euros.
Quelles solutions pour se sortir de l’impasse ?
L’avenir de la finance mondiale devra trouver de l’appui dans les pays éloignés des conflits. « Les pays occidentaux n’ont pas les moyens de dépenser pour venir en aide à ces pays. Sarkozy au G20 devrait responsabiliser la Chine et les pays émergents, leur donner un coup de fouet et ainsi aider à améliorer la transition démographique. On parle trop souvent des flux d’immigration dans les pays, comme en Italie, mais ce n’est pas le vrai visage de la jeunesse arabe. Ils désirent un avenir dans leur pays natal » explique t-il. Pour autant, tout processus révolutionnaire ouvre une fenêtre sur l’espoir. « Il ne faut pas être enthousiaste, ni pessimiste, mais savoir rester réaliste pour accompagner ces pays qui ont besoin d’aide » conclut-il.
La liberté, à quel prix ?
Le Monde Arabe est à feu et à sang. Le peuple se soulève contre des pouvoirs dictatoriaux, monarchiques, mis en place depuis des dizaines d’années (Kadhafi détient les rênes du pouvoir libyen depuis quarante-et-une années, Ben Ali depuis vingt-trois ans pour la Tunisie, Saleh au Yémen depuis trente-deux ans…). Tout commence en décembre 2010, par la révolution du Jasmin. A Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie, les jeunes se révoltent. Chômage, instabilité sociale, avenir précaire, les raisons se multiplient. A l’origine de cette agitation, un jeune vendeur de fruits et légumes, qui s’immole publiquement. Son suicide met le feu aux poudres, et le 17 décembre marque le début de plus d’un mois de lutte acharnée contre Zine-el-Abidine Ben Ali qui sera contraint de démissionner le 27 janvier. Les réseaux sociaux, à l’instar de Facebook et Twitter serviront de relais au mécontentement général, dans l’ensemble des pays du Moyen et Proche Orient. Pourtant, la révolution a beau débuter sur le Web, le reste se passe dans la rue, et le bilan des morts est lourd (près de 240). Malheureusement, ce n’était qu’un début. L’Egypte rejoint le mouvement contestataire, fin janvier, pour les mêmes raisons que la Tunisie. Plus d’une centaine de mort plus tard, Moubarak abdique, et lègue le pouvoir à l’armée. A partir de ce moment, le château de cartes de la régence du Monde Arabe s’écroule : c’est au tour du Yémen, de la Libye, de l’Algérie et du Soudan de se mettre en branle-bas de combat, mais le prix à payer est terrible. Kadhafi laisse le pouvoir à ses fils qui réclament « des rivières de sang ». Au Yémen, le Président Saleh ne quittera le pouvoir que « par les urnes ». Le Monde Arabe se teinte de rouge, couleur de la lutte et de la révolte.
Théo Garcin