Dans son livre « Rigueur ou relance ? Le dilemme de Buridan ou la politique économique face à la dette », écrit à plusieurs mains, Nicolas Bouzou, économiste, directeur-fondateur d’Asterès et vice-président du Cercle Turgot, ouvre le débat avec la fable de l’âne de Buridan. Cette fable, selon laquelle « un âne également assoiffé et affamé se laisserait mourir plutôt que de choisir ou de savoir par quoi commencer entre le seau d’eau et le picotin d’avoine », pourrait trouver une illustration dans les politiques économiques actuelles. Faut-il choisir entre rigueur et relance pour résoudre le problème de l’endettement ? A l’heure où la Grèce et l’Irlande portent le bonnet d’âne, il serait approprié de tirer les leçons de l’Histoire et d’écouter les recommandations du Cercle Turgot.
BourseReflex : Estimez-vous que nos gouvernements européens souffrent d’indécision et d’immobilisme ?
Nicolas Bouzou : Les gouvernements sont encore marqués par l’idée très keynésienne selon laquelle il faut trouver le bon équilibre entre rigueur et relance. Le risque de cet argument est de ne pas faire grand chose au final. C’est malheureusement ce qu’il se passe actuellement avec le budget 2011 où l’on s’est beaucoup focalisé sur la réduction des niches fiscales. Il faut se poser la question de savoir comment faire de la rigueur, c’est-à-dire réduire le déficit, sans pénaliser la croissance.
BourseReflex : Ne s’agit-il pas d’un vœu pieux difficile à mettre en place ?
Nicolas Bouzou : Le problème de l’endettement en France est essentiellement un problème de dépenses. Et notamment de dépenses sociales, c’est-à-dire les dépenses liées au chômage, aux retraites et à la santé. Les vraies réformes doivent porter sur la retraite et la santé qui permettent de réduire les dépenses sans imputer la croissance. En revanche, lorsque l’on choisit la rigueur en allant sur des niches fiscales (par exemple la réduction des avantages sociaux sur les emplois à domicile), cela peut avoir un impact sur la croissance. Le gros dossier de ces prochaines années est la santé car il n’y a pas eu de réforme de fond. Il y a deux sujets : celui du champ de la protection sociale et celui de son financement. Sur ce dernier point, il est évident que nous allons vers une fiscalisation du système (augmentation de la CSG, de la TVA,…). En revanche, concernant le champ de la protection sociale, la vraie question sera de décider ce que l’on rembourse et ce que l’on ne rembourse pas.
BourseReflex : Pour mener à bien ces politiques, il faut faire preuve d’un certain courage politique. Est-ce ce qu’il manque aujourd’hui à nos élites ?
Nicolas Bouzou : Nous sommes constamment en période électorale donc cela fausse la donne. Il y a surtout un problème d’organisation institutionnelle. Il me paraît important de revenir à une démocratie où le rôle du Parlement serait renforcé. Dans un contexte d’élection électorale constant et sans contrôle réel du Parlement, l’incitation à réduire la dette publique est très faible. Le risque serait de devoir réduire le déficit « à chaud », c’est-à-dire après une crise, comme ce fut le cas en Grèce ou en Irlande.
BourseReflex : La Ministre de l’Economie et de Finances, Christine Lagarde, a proposé le concept de « ri-lance », contraction de rigueur et de relance. Au-delà du mot, que pensez-vous de cette idée ?
Nicolas Bouzou : Christine Lagarde a eu un peu de mal à mettre en place la politique qui correspondait à ce terme. Néanmoins, je pense qu’il s’agit d’un très bon terme. Il ne faut pas perdre de vue que l’endettement public n’est pas bon pour la croissance, surtout au niveau de l’endettement public où nous sommes. A partir du moment où l’endettement public représente 90% du PIB (cas de la France), il y a un effet d’éviction. C’est-à-dire que la dette publique absorbe l’épargne, qui aurait pu financer les entreprises, l’innovation, … Ce n’est pas souhaitable.
BourseReflex : Dans votre livre vous rappelez la fameuse lettre de Turgot, ancien contrôleur général des finances sous Louis XVI, qu’il avait adressé au roi. Votre ouvrage a-t-il vocation à éclairer nos dirigeants ?
Nicolas Bouzou : C’est de cette façon que nous avons pensé le livre. Un des problèmes dont souffre la France est le caractère trop politisé des mesures de politiques économiques. Des mesures vont être adoptées en fonction d’un électorat spécifique, sans que les effets profonds aient été appréhendés. Je milite pour que les économistes apportent des solutions concrètes. Ce livre est en quelque sorte un mode d’emploi de la politique de réduction de la dette publique.
BourseReflex : Vous parlez de solutions concrètes. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?
Nicolas Bouzou : Dans le domaine de la santé par exemple, il faudrait pouvoir distinguer plus clairement ce qui relève de la solidarité et ce qui relève de la santé. Il faut par ailleurs renforcer le contrôle du Parlement. Par exemple, le budget, calculé par le gouvernement en fonction des recettes fiscales, devrait prendre en compte le consensus des économistes. Autre solution concrète apportée dans le livre, il serait intéressant de pouvoir jouer sur la fiscalité indirecte qui est la moins nocive et qui rapporte le plus d’argent, comme d’augmenter d’un point la TVA.
BourseReflex : Pensez-vous que ces idées seront suivies d’effets ?
Nicolas Bouzou : Ce livre est un premier jalon. Au sein du Cercle Turgot, nous allons continuer et poursuivre le débat sur d’autres sujets. Le but de ce livre est d’instaurer une culture de partenariat entre les économistes et les politiques, quelque soit la couleur politique du gouvernement en place.
BourseReflex : Seriez-vous prêt à accepter un poste au sein du gouvernement afin de participer à votre idéal de collaboration entre économistes et politiques ?
Nicolas Bouzou : C’est tout à fait envisageable, dans la mesure de mes compétences. Il est très souhaitable à mon sens qu’il y ait des personnes de la société civile au sein du gouvernement. Christine Lagarde vient de la société civile par exemple. Les intellectuels doivent être dans l’action.
Lucie Morlot.