L’Union européenne vient de voter un plan d’aide à l’Irlande d’un montant de 85 milliards d’euros. Les ministres des Finances des pays européens se sont réunis en vue de donner un message fort aux investisseurs, non seulement l’aide à l’économie irlandaise mais surtout l’élaboration d’un système de stabilité financière européenne saine et pérenne. Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management évoque les fragilités au sein de l’Europe.
Boursereflex : Le plan d’aide de l’Union Européenne de 85 milliards d’euros pour sauver l’Irlande de la faillite est-il à la hauteur de l’ampleur de la crise que traverse le pays ?
Philippe Waechter : Il faut tout d’abord savoir si l’Irlande est capable de résoudre ses problèmes toute seule. Probablement pas, d’où l’intérêt de l’aide européenne. Pour l’instant le montant évoqué semble pertinent : 35 milliards devraient être associés au système bancaire et 50 milliards pour faciliter le financement de l’économie irlandaise. L’échelle des montants ne semblent pas être un souci particulier que ce soit du côté de la Commission européenne, du FMI ou de l’Irlande.
BR : Il s’agit donc d’un plan satisfaisant ?
Ph. W. : La question à laquelle est confrontée l'Irlande est double puisqu'il leur faut en même temps retrouver de la croissance et rééquilibrer leurs finances publiques. Le plan initial du gouvernement irlandais reposait sur un scénario très optimiste qui permettait de stabiliser le ratio dette sur PIB à l'HORIZON 2014. Ce plan a été amendé durant la négociation mais il parait encore assez optimiste. Il fait l'hypothèse d'une reprise de la croissance tirée essentiellement par le commerce extérieur et par une accélération sensible de l'inflation. De la sorte, croissance plus élevée et inflation plus forte provoquent une hausse de la croissance nominale, facilitant ainsi la stabilisation du ratio dette publique sur PIB. Le premier point fait l'hypothèse que les pays destinataires des exportations irlandaises progressent rapidement. L'Europe, avec en première ligne l'Angleterre, est le premier client de l'Irlande. Une telle dynamique avait bien fonctionné au début des années 90. La consolidation budgétaire irlandaise avait bénéficié d'un boom de l'activité en Angleterre. Peut-on attendre la même chose cette fois ci ? Pas sûr en raison de la politique très restrictive mise en œuvre en Angleterre et d'une économie de la zone Euro un peu moins rapide l'an prochain. En outre comment avoir une inflation plus rapide lorsque le revenu des ménages progresse peu. La politique de consolidation budgétaire en réduisant les emplois publics et en limitant certaines allocations va peser sur le revenu disponible et pénaliser la demande. Dans ce cadre, il est peu probable que des tensions suffisantes apparaissent et soient susceptibles de provoquer un regain rapide de l'inflation. En d'autres termes, le plan est nécessaire mais je ne suis pas sûr que cela provoque une stabilisation de la dette publique à un horizon assez rapproché. Il y a un problème de croissance en Irlande et l'objectif doit être d'adapter l'économie irlandaise à un contexte de croissance surement plus modéré que dans la période récente. Si cela n'est pas fait, il sera difficile d'atteindre un nouvel équilibre satisfaisant.
BR : Y a-t-il un risque de contagion aux autres pays de la zone ?
Ph. W. : Je ne sais pas si c'est de la contagion. Il y a une inquiétude sur la question européenne et il y a des incertitudes sur les modèles de croissance en Grèce, en Irlande, au Portugal ou encore en Espagne. Ces questions relatives à la croissance ne sont pas liées entre elles. Cela veut dire qu'une inquiétude sur la capacité d'un pays à retrouver un équilibre de croissance satisfaisant n'est pas éteinte parce qu'un autre pays en difficulté se fait aider. Le point commun à ces situations vient de la longueur nécessaire à résoudre les différents problèmes car même si les déficits publics sont stabilisés la dette publique ne le sera pas nécessairement si la croissance n'est pas au rendez vous. L'enjeu des négociations sur l'après juin 2013 vient de là et c'est cette question qui agite les marchés.
BR : Revenir à une situation d’avant l’euro, est-ce envisageable ?
Ph. W. : Ce serait très couteux pour tout le monde. La zone euro est une très bonne chose mais il faut respecter un certain nombre de règles et mettre en place des structures de surveillance. C'est ce point qui a été une source de fragilité dans la situation que nous connaissons. Si on veut que la zone euro perdure il faut des contraintes institutionnelles plus fortes, avec une articulation qui soit un peu plus contraignante mais qui reste à définir. Aux Etats-Unis, les états locaux sont contraints pour que l'ensemble fonctionne. On ne peut pas faire la même chose parce qu'il n'y a pas de gouvernement central et la délégation de souveraineté est plus réduite mais il y a un système de contraintes qui permet in fine une meilleure homogénéité.
BR : Les marchés boursiers ont vivement réagi. Ont-ils raison de se montrer inquiets ?
Ph. W. : Les investisseurs ne sont pas encore rassurés par la situation de l’Irlande. Les questions n'ont pas été entièrement réglées par le protocole du week-end. Les interrogations demeurent sur d'autres pays, notamment sur l'Espagne en raison de sa taille et des interrogations sur son modèle économique. En d'autres termes, chacun est plutôt attentiste car des interrogations demeurent et personne ne souhaite s'engager avant d'avoir été rassuré.
Propos reccueillis par L. M.