Total n’est pas passé loin de la catastrophe : les employés de cinq raffineries sur six en France ont repris le travail, le 25 février, évitant ainsi une rupture des stocks dans les stations d’essence. La marque spécialisée dans le traitement du gaz et du pétrole est passé à deux doigts d’une crise. La compagnie continue de surfer sur une vague positive : elle a annoncé des bénéfices de près de 8 milliards d’euros en 2009, après avoir présenté un bénéfice record de près de 14 milliards d’euros en 2008.
La bonne réputation de l’entreprise, liée à cette santé économique, est cependant écornée par certains accidents, comme Erika, ou AZF. « Atteintes à l’environnement, accidents très lourds, respect des droits de l’homme, Total est impliqué depuis ces quinze dernières années dans des affaires compromettantes », affirme Jean-Philippe Demont-Pierot, l’auteur de l’ouvrage TOTAL(e) impunité. Ce genre de dérives serait apparu depuis l’internationalisation du groupe, alors que Totalfina rachète Elf, en 2000. « L’exigence des actionnaires » serait responsable d’Erika et AZF, survenus respectivement en 1999 et 2001. « Ces deux accidents n’ont pas grand-chose à voir, si ce n’est qu’ils sont survenus à la suite de la recherche du moindre coût », déclare l’auteur de ce brûlot anti-Total.
Capitaux d’Etat et capitaux privés
L’entreprise voit le jour en 1924, sous le nom de la Compagnie française des pétroles (CFP). Le président du Conseil de la IIIe République Raymond Poincaré, est à l’origine de la création de cette société. Il nomme Ernest Mercier premier président, et lui donne pour mission de « créer un outil capable de réaliser une politique nationale de pétrole. » Il lui écrit dans une lettre qu’il tient à ce que la société soit « essentiellement française », et demeure « complètement indépendante ». La société « s’efforcera de développer une production de pétrole à contrôle français dans les différentes régions productrices. » Cette entreprise est mixte, associant des capitaux d’Etat et des capitaux privés.
L’origine d’Elf Aquitaine remonte à juillet 1939, à la suite de la découverte du gisement de gaz de Saint-Marcet dans le Comminges (Haute-Garonne), à 1.600 mètres de profondeur. Une société dénommée la Régie autonome des pétroles (RAP) est créée pour exploiter et développer ce gisement, avec pour but « la recherche, l’exploration et le transport des hydrocarbures liquides et gazeux en métropole. » Ce succès encourage la création de la Société nationale des pétroles d’Aquitaine (SNPA) en 1941, qui étend les prospections dans le sud-ouest de la France. Enfin, en 1945, le Bureau de recherche de pétrole (BRP) est chargé « d’établir un programme national de recherches de pétrole naturel » outre mer.
Un chiffre d’affaires doublé
La Régie autonome des pétroles (RAP) et le Bureau de recherche de pétrole (BRP) fusionnent en 1966, pour donner naissance à l’Entreprise de recherches et d’activités pétrolières (ERAP). Cette holding publique rassemble plusieurs sociétés, dont la Société nationale des pétroles d’Aquitaine (SNPA). L’entreprise devient Elf en 1967, et se dote d’un nouvel emblème, deux formes géométriques bleues et rouges accompagnées d’un grand rond rouge. Le groupe crée la première campagne de publicité française en utilisant le « teasing », avec ce slogan mystérieux : « Les ronds rouges arrivent », diffusé dans les semaines qui précèdent le changement d’enseigne. Les différentes marques vendues jusqu’alors par le groupe, comme Avia, Solydit, ou encore Butafrance, sont regroupées sous une seule marque, Elf.
Le nom de l’entreprise est modifié en 1985, pour Total Compagnie française des pétroles (CFP), puis devient Total en juin 1991. La société rachète l’entreprise belge Petrofina en juin 1999 : elle prend alors le nom de Total Fina. A la suite de ce rachat, Total grossit d’environ 30% en termes d’effectifs, de capacité de production et de chiffres d’affaires. Elle rachète ensuite la société belge Elf Aquitaine en 2000, et double son chiffre d’affaires, son effectif et sa capacité de production. Avec ce rachat d’Elf, Fina ne représentera que 5 à 10% du groupe Total actuel. L’entreprise reprend son nom de Total en 2003.
Erika, AZF et Birmanie
Total signe un contrat en Birmanie « dans les années 1995-96 », ce qui « finance intégralement l’armée birmane, avec 800 à 900 millions d’euros versés tous les ans à la junte », selon Jean-Philippe Demont-Pierot, l’auteur de l’ouvrage à charge TOTAL(e) impunité. « Aujourd’hui, la Birmanie serait libérée de la junte si Total n’était pas installé dans ce pays». En décembre 1999, le pétrolier Erika, affrété par Total pour transporter une cargaison de fioul, de Dunkerque à Livourne en Italie, fait naufrage au large des côtes bretonnes, ce qui déclenche une pollution en mer et à terre.
Autre catastrophe, le 21 septembre 2001, l’explosion d’une usine AZF à Toulouse entraîne la mort de 31 personnes et fait 2.500 blessés. La violence du choc provoque d’immenses dégâts matériels aux alentours. En mars 2009, l’entreprise connaît un choc social. En pleine crise économique, Total annonce le licenciement de quelque 550 emplois, notamment dans ses raffineries, malgré des profits annuels de près de 14 milliards d’euros en 2008. Cela entraîne des réactions houleuses de la part de l’ensemble de la classe politique. Aujourd’hui, malgré ces accidents et cette crise, Total reste un poids lourd du secteur.