L'intervention du Japon mercredi pour endiguer la montée du yen complique les plans des Etats-Unis, engagés dans un délicat jeu à trois pour faire monter la valeur du yuan chinois.
Washington, qui veut forcer Pékin à moins intervenir sur sa monnaie, n'avait pas réagi mercredi après-midi à cette décision de Tokyo.
"Nous nous refusons à commenter", a répondu à l'AFP une porte-parole du département du Trésor américain, Natalie Wyeth, interrogée pour savoir si les Etats-Unis avaient été prévenus de cette initiative et l'approuvaient.
Sollicité par l'AFP pour savoir s'il la jugeait justifiée, le FMI, gardien de la stabilité des changes mondiaux, a fait la même réponse.
La première réaction politique américaine est venue d'un parlementaire, le démocrate Sander Levin, qui a déploré "un événement fort inquiétant". Sa circonscription se situe dans la banlieue de Detroit (Michigan, Nord), la capitale américaine de l'automobile, secteur confronté depuis une quarantaine d'années à la concurrence japonaise.
Le puissant lobby automobile au Congrès américain, qui regroupe Chrysler, Ford et General Motors, a immédiatement appelé le gouvernement à "condamner cette décision du Japon, qui déstabilise l'équilibre délicat de la coopération internationale".
Confronté au problème du yen fort depuis de longs mois, le gouvernement japonais n'a jamais trouvé de l'autre côté du Pacifique de sympathisants à sa cause. Ce n'est pas faute d'avoir voulu attirer l'attention sur les désordres qui aboutissent à la montée irrésistible de sa monnaie, lors des dernières réunions et sommets du G7 et du G20.
Les cambistes américains voient le Japon comme très isolé pour contrer l'achat de yens par les Chinois.
"Que les Etats-Unis et l'Europe ne veuillent pas participer (aux interventions pour faire baisser le yen), ce n'est pas étonnant", commentent les analystes de Brown Brothers Harriman. Mais "les responsables japonais avaient déjà laissé entendre qu'il était plus difficile d'obtenir la compréhension des Etats-Unis que de l'Europe", ont-ils rappelé.
Les Américains ne scrutent que le yuan, selon eux artificiellement sous-évalué pour favoriser les exportations chinoises. Et l'initiative japonaise paraît gêner leurs plans, au moment où ils s'efforcent de convaincre la Chine d'être moins présente sur le marché des changes.
D'après Simon Derrick, de Bank of New York-Mellon, ils ont le pouvoir d'y mettre fin, et il suffirait d'une remarque, comme celle du président de la banque centrale Alan Greenspan lors de l'intervention de 2004, pour arrêter Tokyo.
"Le ministère (japonais) des Finances ne peut se permettre de piloter le yen que quelques jours avant que les critiques ne commencent vraisemblablement à se faire entendre", a-t-il prévenu.
L'économiste Tim Duy, de l'Université de l'Oregon, se demande si les Etats-Unis n'ont pas été pris par surprise. "Que peut-il se passer dans la tête (du secrétaire au Trésor) Timothy Geithner en ce moment?", s'interroge-t-il, frappé de voir que Washington "ne peut pas empêcher les banques centrales d'intervenir sur le marché des changes par le biais du dollar".
Comme le prix Nobel d'économie Paul Krugman la veille, M. Duy a de la sympathie pour les difficultés du Japon face à la Chine.
"Dans les faits, les Chinois ont réussi à faire en sorte que les Japonais achètent des dollars à leur place. Honnêtement, j'ai du mal à donner tort aux Japonais: ils sont confrontés à un grave problème de déflation" alimentée par la baisse du prix des importations, souligne-t-il.