Six mois après avoir annoncé sa volonté de se développer dans la télévision gratuite, avec le projet de lancement d'une nouvelle chaîne, Vivendi bouleverse le marché de la TNT. Le conglomérat va racheter les chaînes Direct 8 et Direct Star, appartenant à Bolloré. L'intensification de la concurrence qui s'annonce s'est traduit par le repli de l'action TF1 vendredi : -7,2% à 9,54 euros. M6 a, elle, cédé 6,51% à 13,29 euros.
Canal+, filiale de Vivendi, va prendre une participation de 60% dans les chaînes Direct 8 et Direct Star. En échange, Vincent Bolloré recevra 16,2 millions d'actions Vivendi, soit 1,3% du capital, valorisée 279 millions d'euros. Canal + disposera par ailleurs d'une OPTION lui permettant de monter à 100% dans les trois ans. La valorisation des actifs prise à 100% serait de 465 millions d'euros maximum.
Exane juge que le prix payé par Vivendi est « très élevé » et qu'il sera difficile de créer de la valeur. Pour CIC, le prix payé reflète le caractère stratégique pour Canal + de la diversification de son business model. Vivendi, qui opère sur le marché mature de la télévision payante, souhaite capter une part du marché publicitaire des nouvelles chaînes de la TNT, explique CIC. Il a préféré prendre les devants au lieu d'attendre l'hypothétique attribution d'une chaîne « bonus », à laquelle la Commission européenne est opposée.
Cette transaction intervient également au moment où les modes de consommation changent; les téléspectateurs regardent de plus en plus la télévision en différé. Et cette tendance devrait s'amplifier avec le développement attendu de la télévision connectée à Internet. Du contenu (films, séries...) pourrait être directement proposé aux téléspectateurs sans passer par les intermédiaires traditionnels que sont les groupes de télévisions. Le développement aux Etats-Unis de service comme Netflix (vidéo à la demande sur Internet) a ainsi entraîné une baisse des abonnements au câble.
Cette acquisition de Vivendi sera négative pour TF1 et M6, expliquent, sans surprise, les analystes. Confrontés à une intensification de la concurrence, ils devraient accroître leurs investissements dans les programmes pour leurs chaînes de la TNT tandis que leurs parts de marché publicitaire devraient reculer. Ils font en effet face à un nouveau concurrent qui dispose d'une très bonne librairie de contenus et des connections pour s'emparer de contenus sur les marchés internationaux, souligne Exane.
Cette transaction sera soumise à l'approbation des autorités compétentes. Vivendi devra au moins se séparer d'une licence de la TNT - les analystes citent Planet - car il possèdera 8 licences après cette opération, contre un maximum légal de 7.
AOF - EN SAVOIR PLUS
Les points forts de la valeur
- TF1 bénéficie de son statut de première chaîne française.
- La priorité est de réduire les coûts à tous les niveaux, et notamment sur la grille de programmes.
- Les activités de diversification (LCI, Eurosport, Internet, production de films...) sont amenées à se développer pour offrir un relais de croissance à la chaîne.
- L'une des priorités de TF1 est d'accroître sa présence dans la télévision numérique terrestre (TNT). La filiale de Bouygues s'est emparée des chaînes NT1 et TMC.
- TF1 présente le profil le plus abouti pour profiter de l'ouverture du marché des paris en ligne avec, d'une part, une capacité à capter une part importante de ces recettes publicitaires compte tenu de sa part d'audience de 25% et de son statut de principal diffuseur de la Coupe du Monde de football, et, d'autre part, une offre propre qui sera basée sur sa puissante marque Eurosport et une offre en partenariat avec la Français des Jeux.
Les points faibles de la valeur
- Les changements structurels de comportement des téléspectateurs (boom d'Internet, développement de la TNT et des chaînes thématiques...) ont fait reculer les parts d'audience.
- Les incertitudes sur la capacité de la chaîne à stabiliser son audience (passée sous le seuil symbolique des 25% fin 2009) pèsent sur le titre. Une poursuite de l'érosion de l'audience entraînerait un nouvel ajustement à la baisse des tarifs publicitaires.
- La rentabilité du groupe est très dépendante de la chaîne TF1 et de ses recettes publicitaires. Or, les annonceurs ont pris l'habitude d'acheter leurs espaces publicitaires à prix bradés. Ils semblent particulièrement réticents à toute hausse de prix et profitent des nombreux volumes disponibles sur le marché.
- Le maintien de la publicité sur les chaînes publiques en journée (avant 20h) pendant deux ans alors que la loi prévoyait sa suppression dès fin 2011 n'est pas une bonne nouvelle pour les chaînes privées.
- Les analystes déplorent le retard du groupe sur Internet, une stratégie timide dans ses diversifications et un manque d'audace dans les choix des programmations.
- La nouvelle direction peine à convaincre. La Bourse souhaite une direction calquée sur le tandem formé par Patrick Le Lay et Etienne Mougeotte, qui avait fait les beaux jours de la Une dans les années 1990.
- La présence à l'international du groupe reste faible.
Comment suivre la valeur
- TF1 est une valeur cyclique. Comme pour tous ses concurrents, la principale ressource de TF1 provient des recettes publicitaires (près de 60% du chiffre d'affaires). Celles-ci sont liées à la conjoncture économique et plus particulièrement à la consommation des ménages. La période des fêtes de fin d'année étant très importante sur le plan publicitaire.
- Les baromètres de mesure d'audience sont des indicateurs à suivre. Il faut également surveiller l'évolution du coût de la grille de programmes.
- Les groupes de télévisions sont confrontés à un univers audiovisuel en profonde mutation, marqué notamment par le poids de plus en plus important pris par Internet et la fragmentation des audiences, provoquée par le succès de la Télévision Numérique Terrestre.
- Le débat sur la publicité sur les chaînes publiques avant 20h est à suivre.
LE SECTEUR DE LA VALEUR
Communication - Medias
Les groupes avaient initialement choisi de ne pas faire payer leurs contenus en ligne, en misant sur les revenus publicitaires engendrés par l'audience. Ils revoient aujourd'hui leur position et mettent en place des systèmes de péage. Le britannique Times, appartenant au groupe News Corp., a choisi la formule du tout-payant sur le Web depuis le 1er juillet. Quant au New York Times, il introduira une formule payante début 2011. Il se dirige vers le freemium : une partie du contenu du site est gratuite tandis que l'autre est payante. En France, plusieurs quotidiens généralistes ont opté pour cette formule. En septembre 2009, Libération a rendu payants sur son site des articles de son quotidien papier. LeFigaro.fr a également introduit un système d'abonnement en février. LeMonde.fr, l'un des premiers à avoir facturé des contenus en 2002, réserve désormais les articles de son quotidien papier à la version payante de son site. Ces acteurs espèrent ainsi rentabiliser une audience qui s'établit à plusieurs millions de visiteurs uniques mensuels et éviter la cannibalisation des contenus des versions papier.