
Frapper "vite et fort" face à un "risque majeur": Renault tente désespérément de justifier le licenciement sans preuves début janvier de trois cadres soupçonnés d'espionnage, alors que des éléments accablants s'accumulent sur la gestion de l'affaire par le constructeur.
Renault "n'a ni les moyens de la justice, ni ceux de la police, mais doit se protéger dès que le risque est élevé. Au risque de l'injustice", a fait valoir Patrick Pélata, le bras droit du PDG Carlos Ghosn, dans un message au personnel le 17 mars révélé par la CGT.
"Le risque était très gros pour Renault si l'affaire était vraie (...) Nous agissions sur la foi de renseignements que nous ne pouvions recouper", a-t-il affirmé pour expliquer le choix du groupe de croire sur parole son service de sécurité plutôt que ses cadres, dont l'un travaillait pour lui depuis 30 ans.
La CGT a dénoncé la ligne de défense "gravissime" de M. Pélata. "Vous ne dites pas autre chose que l'entreprise est en dehors des lois et qu'elle peut faire elle-même sa propre justice", reproche le premier syndicat de Renault.
La révélation de ce message suit celle d'un enregistrement du 14 février attestant que Renault avait déjà conscience de s'être fourvoyé dans un faux scandale d'espionnage, et avait choisi de masquer son absence de preuves aux enquêteurs de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI).
"Si jamais la DCRI apprenait avant nous qu'il n'y a pas la soudure (ndlr, les preuves matérielles contre les cadres licenciés), c'est la fin des haricots pour la boîte, pour Ghosn, pour tout le monde (...) C'est la bombe atomique", déclarait le directeur juridique de Renault, Christian Husson, dans ce document révélé par L'Express.fr et France 2.
Peu auparavant, le 10 février, Carlos Ghosn avait encore assuré publiquement que les accusations contre les trois cadres se fondaient sur la conviction de "dizaines de personnes".
M. Ghosn et Renault ont fait leur mea culpa et innocenté le 14 mars les trois salariés accusés à tort d'avoir touché des pots-de-vin sur des comptes en Suisse et au Liechtenstein en échange de secrets sur le programme phare de voitures électriques du constructeur français. Mais l'Etat, premier actionnaire du groupe (15%), a laissé entendre depuis que des têtes devront tomber.
La haute direction de Renault s'est jusqu'à présent exonérée dans cette affaire. Seuls trois responsables de la sécurité interne du groupe font l'objet de "procédures disciplinaires", dont l'un, Dominique Gevrey, suspecté d'escroquerie, a été mis en examen et est incarcéré depuis le 13 mars.
Un autre de ces responsables, Marc Tixador, convoqué le 6 avril pour un entretien préalable à son licenciement, a cherché à se dédouaner dans une interview au Parisien mardi.
Il a assuré avoir informé ses supérieurs, notamment Christian Husson, que les informations que M. Gevrey affirmait avoir obtenues d'un informateur anonyme ne constituaient pas des "preuves et qu'il valait mieux saisir la DCRI pour qu'elle les vérifie".
"Ils ne m'ont pas entendu", a déclaré M. Tixador, ajoutant que "Carlos Ghosn souhaitait le plus grand secret autour de cette affaire".
Selon le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, l'affaire d'espionnage présumée relève d'une "possible escroquerie au renseignement".
Les enquêteurs de la DCRI sont convaincus que Dominique Gevrey n'a "pas de source, pas plus aujourd'hui qu'hier", a affirmé récemment à l'AFP un proche de l'enquête.
Dans son message du 17 mars, le numéro deux de Renault a reconnu que le fiasco avait "ébranlé" le personnel. "Sa confiance en nous s'est dégradée", avoue Patrick Pélata. Ce qui tombe mal, alors que le groupe veut mobiliser ses troupes pour mettre en place son nouveau plan stratégique présenté en février.