L'ombre de la Chine plane sur l'affaire d'espionnage qui frappe Renault et mobilise l'Etat, alors qu'un des cadres mis à pied par le constructeur automobile est sorti vendredi de l'anonymat pour récuser les soupçons de divulgation des secrets industriels du groupe.
Renault a mis à pied lundi trois cadres dirigeants dans cette affaire touchant au coeur stratégique du groupe de Carlos Ghosn, encore détenu à 15% par l'Etat français qui a parlé de "guerre économique".
Selon le site internet de l'hebdomadaire Le Point, les trois cadres auraient touché de l'argent sur des comptes bancaires à l'étranger contre des brevets "en attente d'être déposés" sur des batteries de véhicules électriques.
"C'est un sous-traitant automobile français qui aurait servi d'intermédiaire entre eux et des interlocuteurs chinois", affirme le site qui affirme que Renault a remonté le fil via une "société privée". Interrogé, le constructeur s'est refusé vendredi soir à tout commentaire.
Le Figaro avait déjà évoqué une "piste chinoise" privilégiée par les services secrets et par Renault.
Le contre-espionnage planche sur l'affaire, selon des sources proches du dossier, dont l'une a affirmé que "la sous-direction de la protection économique de la DCRI (Ndlr, Direction centrale du renseignement intérieur) est sur le coup".
Officiellement, la DCRI n'est "pas saisie judiciairement à ce jour" mais peut l'être "à tout moment", a indiqué un de ses responsables.
"Il faut pour que la DCRI soit saisie qu'il y ait une plainte. Si Renault porte plainte, le ministère de l'Intérieur, la DCRI, un juge seront saisis", a déclaré vendredi soir le ministre de l'Industrie, Eric Besson.
Par l'intermédiaire de son avocat, un des cadres soupçonné par Renault, Mathieu Tenenbaum, directeur adjoint du programme des voitures électriques du constructeur, s'est dit "abasourdi par les accusations d'espionnage".
M. Tenenbaum a été expulsé lundi de ses locaux professionnels "en quelques minutes, sans aucune justification qu'un laconique et énigmatique +on sait ce que vous avez fait, vous feriez bien d'avouer+", selon son défenseur, Me Thibault de Montbrial.
L'avocat a dénoncé "ce décalage entre le mutisme de sa hiérarchie lundi et la véritable pré-déclaration de culpabilité de la communication publique de Renault depuis quatre jours".
Renault, qui entend porter plainte, justifie les mises à pied par la nécessité de protéger ses "actifs stratégiques, intellectuels et technologiques".
La voiture électrique est le programme phare du constructeur, qui y a investi 4 milliards d'euros avec son allié japonais Nissan. L'enjeu est énorme pour le tandem, qui vise le leadership mondial sur ce marché. Renault a déposé 56 brevets sur le véhicule électrique, et en a une centaine en cours de finalisation.
Pour le député UMP Bernard Carayon, spécialiste des questions d'intelligence économique, la piste chinoise évoquée est bien celle privilégiée. "Les soupçons se portent effectivement dans cette direction", a-t-il déclaré vendredi.
"Les grandes entreprises chinoises ont de gros budgets recherche et développement (RD), dont une partie est utilisée pour faire du renseignement avec d'importants budgets pour acheter les gens", a expliqué à l'AFP Roger Faligot, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux de l'espionnage chinois.
De son côté, le délégué interministériel à l'intelligence économique, Olivier Buquen, juge "alarmant" le nombre de cas d'espionnage industriel en France qu'il chiffre à "plusieurs milliers" depuis cinq ans, dans l'édition de samedi du Journal du dimanche (JDD).
Premier officiel à parler d'"espionnage industriel", Eric Besson avait souligné jeudi avoir demandé aux services de Bercy de renforcer les obligations en matière de sécurisation du secret industriel pour les entreprises bénéficiant d'argent public.