La France prête à nouveau le flanc à l'accusation de protectionnisme, après la virulente sortie du gouvernement contre la commande par Eurostar de dix trains à grande vitesse à l'allemand Siemens au détriment du français Alstom.
La compagnie transmanche Eurostar, dont la SNCF possède 55% du capital, avait à peine annoncé ce contrat de 600 millions d'euros jeudi que le ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo, et son secrétaire d'Etat aux Transports, Dominique Bussereau, faisaient part de leur "stupéfaction".
"Eurostar doit mettre en conformité son appel d?offres avec les règles de sécurité actuelles" dans le tunnel sous la Manche, ont-ils exigé.
Or lesdites règles sont en cours de modification. Le directeur général d'Eurostar, Nicolas Petrovic, a répondu que la commission intergouvernementale (CIG) franco-britannique chargée du tunnel sous la Manche a défini en mars ce qu'elles devraient être, au terme d'une vaste consultation.
"Nous avons basé notre appel d'offres sur les recommandations faites à l'issue de cette consultation. (...) On en a parlé", a-t-il assuré, rappelant que les trains commandés à Siemens ne devaient être livrés qu'en 2014.
"Ce qui a fait réagir les ministres, c'est qu'Eurostar choisisse son matériel avant que les règles (de sécurité) ne soient modifiées", a réagi vendredi l'entourage de M. Bussereau.
"On ne dit pas qu'en 2014, il n'y aura pas de train, mais il ne peut y avoir une décision d'achat qui anticiperait les normes de sécurité", a-t-il ajouté, ajoutant que la commande d'Eurostar pourrait influer l'élaboration des nouvelles règles.
Le problème porte surtout sur la motorisation répartie le long des rames de Siemens, ce qui permet de gagner de la place --mais augmente aussi les risques d'incendie, selon ses détracteurs.
"Malgré quelques opinions divergentes, la consultation semble généralement aller dans le sens de l'acceptation des trains dont la motorisation est répartie", indiquait à ce propos la CIG en mars.
Alstom --jusqu'à présent fournisseur de tous les TGV du groupe SNCF-- avait également proposé un modèle à motorisation répartie.
Côté britannique, le ministre des Transports, Philip Hammond, s'est dit jeudi "confiant que les trains choisis par Eurostar seront homologués à temps", tandis que Richard Clifton, représentant le Royaume-Uni à la CIG, a indiqué qu'"en principe, il n'y a rien dans ce train qui pose problème pour sa certification".
"Les Français essaient d'empêcher l'affaire de se faire avec une dernière tracasserie", écrit vendredi le quotidien allemand Die Welt. Ni Siemens, ni le gouvernement allemand n'ont souhaité réagir.
Dans le secteur, on parle volontiers de protectionnisme, mais hors micro.
"Jean-Louis Borloo veut devenir Premier ministre. Il fait tout pour plaire au président Nicolas Sarkozy, et en rajoute sur le patriotisme industriel", estime un professionnel, tandis qu'un autre se demande "à quoi ça sert que la SNCF ou ses filiales passent des appels d'offres si Alstom doit gagner à la fin".
"Il y aura sans doute une forme de négociation politique plus en amont," juge Gaël de Bray, analyste à la Société Générale, qui estime qu'"Eurostar a fait son travail" et se dit "intimement persuadé" que Siemens était moins cher.
Hasard du calendrier, la Deutsche Bahn, qui veut concurrencer Eurostar sur le transmanche, doit faire rouler un train dans le tunnel, pour le présenter à Londres le 19 octobre.
C'est un Siemens, qui vient d'obtenir le feu vert de la CIG pour gagner l'Angleterre. Mais comme il n'est pas aux normes, il devra être tracté par une locomotive de fret.