(AOF / Funds) - La crise et les problèmes de liquidité qu'elle a suscités ont mis en lumière l'importance de l'exécution des ordres dans le process de gestion. Celle-ci avait déjà été fortement impactée par la directive MIF (marché d'instruments financiers) entrée en vigueur au mois de novembre 2007. Parmi les changements induits par la MIF figure en effet la possibilité d'échanger des ordres par blocs sans transiter par les marchés organisés. Ces échanges et les plateformes de transactions électroniques sont entrés en concurrence avec les marchés réglementés. La multiplication des marchés devait permettre selon la directive de diminuer le coût de transaction grâce à la concurrence entre les opérateurs et d'augmenter la liquidité des marchés. Cependant, après quelques mois et une crise sans précédent, le constat est légèrement différent. Il apparaît en effet parfois difficile d'évaluer si les transactions sont effectuées aux meilleures conditions.
Le régulateur lors de la présentation fin juin de son rapport annuel s'est inquiété de cette situation. L'Autorité des marchés financiers (AMF) souhaite une «extension du champ de la surveillance à tous les marchés et à tous les produits en liaison avec les autres régulateurs nationaux, européens et internationaux, avait déclaré Jean-Pierre Jouyet, président de l'AMF. Nous nous donnerons par exemple les moyens de mieux surveiller les transactions sur les marchés obligataires, les transactions sur les plateformes nouvelles de trading, etc. Il s'agit d'un lourd investissement mais la crise a démontré combien il est nécessaire.» Les autorités européennes ont également pris la mesure du problème. «La Commission européenne étudie, sur recommandation du CESR, l'extension des obligations de publication des transactions post-trade aux obligations corporate, produits structurés et dérivés de crédit», indique François Pradel, vice-président de Solving Efeso France.
La MIF a entraîné une évolution notable de ce métier en introduisant la notion de «Best Execution». Cela signifie que les sociétés de gestion doivent pouvoir prouver à leurs clients finaux (particuliers ou mandataires) que les transactions effectuées dans le cadre des fonds ont été exécutées aux meilleures conditions. L'exécution des ordres est rarement opérée par les gérants à l'exception des très petites sociétés. Elle est effectuée par des négociateurs regroupés au sein d'une table de négociation. Sa taille dépend de l'importance de la société de gestion.
Les très grandes sociétés de gestion ont filialisé leur table et se proposent même d'agir pour le compte de petites sociétés de gestion qui ne peuvent consentir à des investissements aussi importants. C'est le cas par exemple de BNP Paribas Asset Management (PAM) avec Fin'AMS. «Seules quinze à vingt des plus grosses sociétés de gestion et quelques spécialistes génèrent des volumes d'ordres suffisants pour disposer d'une table de négociation conséquente, indique François Pradel. Les sociétés de gestion de taille moyenne s'appuient sur des intermédiaires dont elles doivent mesurer les coûts de transaction explicites et implicites, les plus petites font souvent le choix d'externaliser cette fonction, auprès de la banque de leur groupe ou d'un spécialiste».
Fin'AMS est l'un des plus gros opérateurs en Europe. La filiale de BNP PAM intègre 27 opérateurs de marché qui négocient les titres pour l'ensemble des filiales de gestion de la banque et pour des sociétés de gestion concurrentes. «Au-delà de la négociation que nous assurons sur toutes classes d'actifs, nous proposons à NOS clients de les accompagner dans leurs démarches liées à leurs contraintes réglementaires, notamment celles de la MIF, relate Franck Chatillon, président du directoire de Fin'AMS. Nous proposons notamment de produire pour leur compte le reporting des transactions ou de benchmark d'exécution.»
Outre ces services, Fin'AMS propose un accès privilégié à la liquidité. «Notre taille nous permet d'avoir un accès plus facile à la liquidité, explique Franck Chatillon, car compte tenu des volumes que nous traitons quotidiennement nous avons un pouvoir de négociation relativement important vis-à-vis de nos intermédiaires.» Les petites sociétés de gestion peuvent également utiliser les services d'une table de négociation indépendante, Exoé qui intervient depuis mai 2007 pour le compte de sociétés de gestion. Exoé travaille avec 47 brokers différents pour le compte d'une trentaine de gérants. «Nous dialoguons et informons en temps réel gérants et brokers et conservons les données permettant d'élaborer des pistes d'audit complètes, indique Olivier Taverne, directeur général d'Exoé. La connaissance des qualités de chaque broker et la mesure des performances d'exécution permet d'optimiser la qualité des exécutions réalisées.» L'externalisation présente un certain nombre d'avantages. «Certaines sociétés de gestion qui ont externalisé la négociation sont parvenues simultanément à diminuer les coûts de transaction explique François Pradel. En effet, en interne le passage des ordres n'était pas automatisé, l'externalisation s'est accompagné d'un passage au tout électronique permettant de bénéficier à la fois de réductions tarifaires de la part des brokers et d'une chaîne d'exécution plus efficace».
Pour certaines sociétés de gestion, ce métier apparaît pourtant trop stratégique pour être externalisé. Ainsi, Groupama Asset Management a-t-il créé à la fin de l'année dernière une table de négociation composée de 6 personnes qui traitent l'ensemble des produits mis en oeuvre par la gestion. L'externalisation ne permet pas par ailleurs d'atténuer la responsabilité des sociétés de gestion vis-à-vis de leurs clients finaux. Ce sont donc elles qui vont définir la politique d'exécution. Celle-ci intègre plusieurs éléments. «Les types de marché sur lesquels la société de gestion s'autorise à aller doivent être strictement définis, ainsi que la façon dont les ordres doivent être exécutés et enfin les critères choisis pour la Best Execution», explique Gaspard Bonin, Senior Manager chez Equinox Consulting. Elle est modulée selon la classe d'actifs. «Pour les actions, la société de gestion sélectionne un broker et lui donne des instructions d'autant plus précises que le gérant et la table de négociation connaissent le marché et ont des outils sophistiqués, explique Gaspard Bonin. Pour les produits OTC, les sociétés de gestion ont pleine responsabilité de la Best Execution dans la mesure où elles doivent réaliser un appel d'offres auprès de plusieurs contreparties et sélectionner le mieux offrant.» En définitive, pour les instruments cotés, les sociétés de gestion sont soumises à une obligation de «Best Selection» des intermédiaires.
Pour une même classe d'actifs, l'exécution peut également dépendre de la stratégie d'investissement. «Les sociétés de gestion ont des besoins très différents en fonction des process : ainsi les gestions alternatives ont besoin d'un accès rapide au marché car les stratégies jouent en général sur de petites variations ou des ratios entre actifs, explique Patrice Robert, responsable de la table d'intermédiation chez Groupama Asset Management. En revanche, pour les gestions indicielles, les prix de référence sont généralement pris à la clôture et on se doit d'optimiser les coûts de frottement pour qu'ils soient les plus proches possibles de ces derniers. Enfin pour les gestions actives, la taille des blocs est généralement plus importante et on va donc privilégier la liquidité. Selon la stratégie, nous allons donc traiter avec des contreparties différentes.» En conséquence, la société de gestion doit stocker l'ensemble de ces informations, les prix proposés et les prix d'exécution pour les tenir à disposition de ses clients. Des spécialistes de l'information comme Bloomberg ou Reuters tentent de reconstituer les carnets d'ordre.
Toutefois, le manque d'informations sur la façon dont les transactions sont effectuées par les brokers est souvent criant, d'autant plus qu'il s'agit de produits négociés de gré à gré. «En ce qui concerne les actifs cotés, on parvient plus facilement à apprécier la façon dont les ordres ont été exécutés, en comparant les prix obtenus à des benchmarks d'exécution, explique Franck Chatillon. Nous avons mandaté un prestataire externe qui nous fournit ces benchmarks. En revanche, pour le périmètre OTC, il n'existe pas en Europe de fournisseurs de données qui agrègent l'ensemble des transactions effectuées à la voix ou sur des plateformes et proposent un prix de référence par rapport à un univers d'investissement. Nous avons constitué notre propre base de données qui permet de situer chaque transaction dans son univers». Cette nécessité d'améliorer la transparence pré et post-trade est encore plus importante pour les sociétés de gestion de taille plus petite qui ne possèdent pas un fort pouvoir de négociation vis-à-vis des brokers. «Nous souhaitons pouvoir récupérer les prix d'exécution ligne à ligne et non en grande masse comme le proposent les brokers dans leurs rapports de 'best execution', explique Patrice Robert. Qui plus est, ces rapports ne sont pas homogènes d'un broker à l'autre». La façon dont les brokers travaillent devrait également être plus transparente, notamment en ce qui concerne la sélection des différents marchés. «Nous manquons d'informations sur les priorités des brokers et sur l'ordre dans lequel ils interrogent les différents marchés avant de conclure une transaction, indique Patrice Robert.» Ils entretiennent parfois un flou volontaire dans la mesure où les critères définis dans le cadre de la politique d'exécution sont très larges, et intègrent, outre ceux définis par la MIF, des éléments discrétionnaires. Un vaste chantier donc pour le régulateur s'il souhaite augmenter la transparence pré et post-trade.
Sandra Sebag