(AOF / Funds) -
Par Michel Martinez, Société Générale Asset Management. Extrait de «Regards sur l'économie». Janvier 2009
Depuis le début de la crise du subprime, la BCE a été quasi exemplaire en matière de liquidités offertes au système bancaire. Par contre, en ce qui concerne les niveaux des taux d'intérêt, elle a là toujours réagi avec un temps de retard. A 2 %, ses taux directeurs sont actuellement les plus élevés au sein du G7.
Quel taux d'intérêt cible ?
Lors de la dernière conférence de presse de janvier, M. Trichet a laissé entendre que la BCE marquerait une pause en février et que ce serait la réunion de mars qui compterait. Deux tendances très différentes débattent actuellement au sein du Comité de politique monétaire.
Les membres les plus orthodoxes refusent la politique de taux zéro et mettent en avant l'idée d'un taux directeur plancher - probablement supérieur à 1 %. Le mot d'ordre est qu'il faut éviter une «trappe à liquidité».
D'autres membres du Conseil des gouverneurs rappellent que l'objectif de la BCE consiste à ce que l'inflation à moyen terme reste inférieure, mais proche de 2 %. Autrement dit, il ne faut pas laisser tomber l'inflation durablement trop en deçà de 2 %, ce qui suppose de nouvelles baisses de taux. Certains envisagent même, si nécessaire, une politique de taux zéro. L'inflation dans la zone euro devrait être faible cet été, inférieure à 0,5 %, et pourquoi pas négative si le prix du pétrole reste très bas. En principe, elle devrait se reprendre par la suite si, comme nous le pensons, les mesures de politiques économiques se révèlent efficaces à soutenir la croissance. Mais le risque d'une très faible inflation (de l'ordre de 1 %) à un HORIZON de dix-huit mois n'est plus aujourd'hui une chimère. L'inflation serait alors durablement très en dessous de 2 %.
Au final, alors que les autres banques centrales (Fed, BoE, BoJ...) ne semblent pas effrayées par une politique de taux zéro, la BCE donne le sentiment de ne pas avoir de ligne directrice claire pour affronter la situation actuelle, qui combine récession et forte désinflation. Et c'est probablement la raison principale pour laquelle, en matière de taux directeurs, la BCE réagit avec retard plus qu'elle n'anticipe.
La politique monétaire quantitative est-elle possible ?
Quand les marges de manoeuvre pour baisser les taux directeurs sont faibles, les banques centrales n'ont guère le choix si elles veulent soutenir l'économie et le système bancaire : recourir à la politique quantitative. En achetant directement des emprunts d'Etat de maturité longue, les autorités monétaires monétisent la dette publique et espèrent maintenir des taux longs réels faibles, voire négatifs, pour relancer le moteur du crédit. C'est ce à quoi se prépare la Fed.
La question se pose aussi pour la BCE, même si la réponse est plus compliquée. En zone euro, les baisses récentes de taux directeurs n'ont pas eu d'effet significatif sur de nombreux segments obligataires, du fait de tensions qui restent très élevées. Par exemple, les rendements des emprunts d'Etat de la Grèce à cinq ans sont de l'ordre de 5,5 %, soit des niveaux proches des points hauts des huit dernières années. Techniquement, la BCE a les moyens de mettre en oeuvre une telle politique, puisqu'elle peut acheter en direct sur le marché secondaire tout titre de dette de qualité supérieure à BBB. La BCE n'a pas exclu une telle possibilité, signifiant simplement que cette dernière n'était pas à l'ordre du jour. A l'heure où les agences de notation revoient le rating de plusieurs pays, les contraintes politiques sont en effet fortes et ne paraissent pas pouvoir être surmontées à court terme. Comment justifier en effet d'acheter des emprunts de tel Etat plutôt que tel autre - et diminuer le fardeau de sa dette -, sachant qu'une telle action présente un coût pour la BCE que tous les Etats doivent partager ? Il faudrait que la situation de certains Etats de la zone euro devienne très critique pour que la BCE recoure à de tels moyens.
L'euro, première victime des réticences de la BCE ?
Les marchés anticipent que la BCE baissera ses taux au moins à 1,25 % d'ici à trois mois, ce qui n'aurait rien d'accommodant vu la situation économique. Toutefois, le risque est que la BCE continue de réagir avec retard et soit moins active que prévu. La principale victime de cet attentisme relatif de la BCE serait alors probablement l'euro, dont la dépréciation récente tient beaucoup aux anticipations de politique monétaire.
Les conditions d'une surréaction à la hausse de l'euro face au billet vert sont réunies. D'une part, les devises des pays émergents sont fragilisées par la crise. D'autre part, les investisseurs internationaux pourraient prendre à nouveau conscience que l'augmentation du nombre de dollars en circulation pèsera tôt ou tard sur l'inflation. Des «déceptions» de la part de la BCE joueraient alors le rôle de catalyseur. Dans un tel cas, on peut facilement imaginer que l'euro retrouve une cible de 1,5 dollar, dont il n'était pas si éloigné il y a encore quelques semaines. Pour l'économie de la zone euro, les conséquences seraient lourdes. Non seulement les baisses de taux (courts et longs) seraient probablement insuffisantes pour relancer la machine du crédit, mais l'euro fort viendrait aggraver la situation des industries manufacturières, déjà sérieusement affectées.