
L'incapacité de Paris et Berlin à trouver des compromis rapides pour sauver l'euro s'explique par l'implication bien supérieure du Parlement en Allemagne dans les décisions majeures et par des divergences de vue concernant l'indépendance de la Banque centrale.
Ces différences, qui reviennent sur le devant de la scène à chaque crise européenne, trouvent leur origine dans le passé et les traumatismes respectifs des deux pays.
Au risque d'agacer la France, l'Allemagne est freinée dans ses prises de décision par l'obligation d'associer régulièrement les parlementaires aux décisions importantes. Berlin a d'ailleurs avancé vendredi cet argument pour expliquer l'organisation d'un deuxième sommet européen mercredi... au moment où le monde entier attend des réponses immédiates à la crise de la dette.
"Le Bundestag est toujours impliqué dans les décisions de politique étrangère alors que l'Assemblée Nationale a un rôle beaucoup plus limité", constate Claire Demesmay, chercheuse de la Société allemande de politique étrangère (DGAP) à Berlin.
En "France, le président a des prérogatives particulières en matière de politique étrangère qui lui permettent de ne pas être dépendant du Parlement", observe aussi Stefan Seidendorf de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg.

Dans le but de mettre un terme à la valse des gouvernements qui sévissait après guerre, la constitution de la cinquième République en 1958 en France a renforcé les pouvoirs de l'exécutif au détriment de ceux du Parlement.
En Allemagne, les dernières années de la République de Weimar qui ont abouti à l'arrivée d'Hitler ont été marquées par des gouvernements qui n'étaient plus formés par voie parlementaire, mais sous forme de "cabinets présidentiels". Après 1945, l'Allemagne a voulu tourner la page d'un Parlement faible.
Cette différence de pouvoir des députés a rythmé la construction européenne. "On savait qu'il fallait laisser du temps aux Allemands, comme ce fut notamment le cas pour le vote du Bundestag sur l'intervention en Afghanistan. Le problème actuellement, c'est que les marchés veulent une réponse rapide et un leadership", constate Mme Demesmay.
Le 7 septembre dernier, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, plus haute instance judiciaire allemande, a encore renforcé les parlementaires allemands, remarque M. Seidendorf. Le gouvernement a désormais "l'obligation d'obtenir le feu vert préalable" de la commission budgétaire du Bundestag avant de prendre un quelconque engagement pour lutter contre la crise de la zone euro.
Si l'Assemblée nationale a adopté sans suspense et dans la discrétion le Fonds d'aide à la zone euro le 7 septembre, le vote au Bundestag le 29 septembre, attendu avec crainte, a eu un retentissement mondial.
Autre différence majeure entre Paris et Berlin, source d'empoignades régulières : l'indépendance de la Banque centrale. "C'est le point sur lequel l'Allemagne a insisté au moment de la création de la monnaie unique", rappelle Claire Demesmay.
Cet attachement s'explique par la crainte viscérale de voir la banque centrale transformée en planche à billets, ce qui pourrait conduire au mal absolu pour les Allemands : l'inflation. Le pays reste encore aujourd'hui traumatisé par l'hyper-inflation de 1923, sous la République de Weimar, qui a plongé le peuple dans la misère.
La France, qui n'a pas cet héritage, continue de vouloir impliquer financièrement la Banque centrale européenne dans l'aide aux pays criblés de dettes.
Cette divergence de fond a déjà conduit le 9 septembre dernier à la démission du chef économiste de la BCE, l'Allemand Jürgen Stark, ardent défenseur de l'orthodoxie monétaire qu'il estimait mise à mal par les achats d'obligations menés sous la direction du Français Jean-Claude Trichet.