Toute à sa campagne de séduction des pays émergents, Christine Lagarde s'est faite très discrète sur ses solutions à la crise de la zone euro, qui sera pourtant son dossier le plus brûlant si elle est nommée à la tête du Fonds monétaire international (FMI).
"C'est assez naturel qu'elle fasse campagne en direction des émergents, puisque c'est son point de faiblesse", explique le directeur de l'institut de réflexion européen Bruegel, Jean Pisani-Ferry. Rapidement adoubée par les Européens, "elle n'a pas besoin de faire campagne en Europe".
La ministre française des Finances a enchaîné les visites à Brasilia, New Delhi et Pékin pour rallier à sa cause des puissances émergentes agacées de voir l'Europe vouloir, une fois de plus, s'accrocher à ce poste.
Les Européens ont des arguments à faire valoir: la Grèce, l'Irlande et le Portugal représentent 68,1% des engagements du FMI envers ses Etats membres. Bruxelles juge donc "légitime", "étant donné la conjoncture actuelle", qu'un des siens continue de diriger l'institution de Washington.
Un raisonnement contesté par le rival de Christine Lagarde, le Mexicain Agustin Carstens, qui dénonce un "conflit d'intérêts" et relève que les Européens n'ont pas démontré leur capacité à régler leurs problèmes.
La candidate fait donc mine ne de pas jouer la carte de la nationalité.
Dans son discours de candidature, le 25 mai, la Française n'a pas mentionné une seule fois la crise de la dette dans la zone euro, et encore moins la Grèce. Il aura fallu attendre les questions de journalistes - anglo-saxons - pour qu'elle admette que sa "connaissance intime" des rouages européens pouvait "aider".
Et dans sa lettre de motivation au conseil d'administration du FMI, Christine Lagarde n'évoque l'intervention "remarquable" de l'institution financière en Europe que pour promettre de l'étendre aux "autres régions du monde" confrontées "à des difficultés".
Depuis, alors que la crise grecque fait à nouveau trembler la zone euro, la ministre se borne à des déclarations tautologiques sur le sujet. "Nous faisons tous des efforts pour la Grèce et je pense que c'est important pour la zone euro", s'est-elle ainsi contentée de dire jeudi.
Nul ne sait, donc, quelle sera sa position sur la dette grecque, sur son éventuel rééchelonnement voire sa restructuration, et sur un nouveau sauvetage financier, autant d'épineux dossiers qu'elle trouvera sur son bureau de "managing director" si elle est, comme c'est probable, nommée fin juin.
Jusqu'ici, la ministre française qu'elle est, tout comme le FMI, se sont dits opposés à toute forme de défaut de la Grèce. Mais les lignes sont en train de bouger.
"Il faut qu'elle ait une parole publique prudente dès lors que tout ce qu'elle dit peut être interprété, à tort, comme la future position du FMI", glisse-t-on dans l'entourage de la ministre.
Au-delà, elle devra préciser son positionnement vis-à-vis de l'Europe.
Pour Jean Pisani-Ferry, proche de Dominique Strauss-Kahn, le Fonds est devenu "un acteur du jeu politique et économique européen", "comme une sorte de coordinateur externe d'une zone euro en mal de coordination".
Le patron démissionnaire du FMI a en effet parfois joué les médiateurs, notamment auprès des responsables allemands. "Le chef du FMI peut avoir une influence sur les Européens", reconnaît une source européenne.
"Une des premières choses que devra faire Christine Lagarde ce sera de redéfinir la position du Fonds vis-à-vis de l'Europe, pour marquer des limites à ce que le Fonds peut et ne peut pas faire", souligne Jean Pisani-Ferry. L'économiste prédit aussi que la Française devra "inévitablement" marquer son "indépendance par rapport aux prises de position européennes".