Voici des réactions d'économistes après l'annonce vendredi de l'entrée de la France en récession:
- Nicolas Bouzou (Asterès)
Pas de grosse surprise. Le PIB de la France a reculé de 1,2% au 1er trimestre 2009. C'est énorme dans l'absolu, mais, au regard des standards internationaux, cette baisse est relativement limitée. Le PIB allemand a chuté de 3,8% sur la même période. Seule nouveauté: la récession a commencé très tôt en France, au deuxième trimestre 2008.
principal enseignement : la consommation résiste parfaitement bien. Elle progresse de 0,2% au T1, comme au T4 2008. Un chiffre qui renvoie assez violemment dans leur filet les apôtres de la relance par la consommation. En effet, dans un pays comme la France ou seulement 70% du revenu disponible des ménages est constitué de revenus d'activité, les fameux stabilisateurs automatiques (hausse mécanique de diverses allocations, indemnités, revenus sociaux) font la relance tous seuls. D'autant plus que la disparition de l'inflation a redonné du pouvoir d'achat aux ménages.
A l'inverse, l'investissement des entreprises a décroché de 3,2%, alors même qu'il avait peu augmenté ces dernières années. Les investissements totaux en France (y compris investissement public et construction) perdent 2,3%. De ce point de vue, la philosophie qui a inspiré le plan de relance français est correcte.
Le déstockage joue un rôle clé dans la dynamique observée depuis la fin de 2008. En effet, les industriels ont voulu vider au maximum leurs entrepôts pour deux raisons : tout d'abord, en anticipation du manque de demande à venir ; ensuite, pour alléger les besoin de financement du cycle d'exploitation, dans un contexte où l'accès au crédit est devenu plus compliqué. Volonté de déstocker, donc moins de production (baisse des investissements, augmentation du chômage). Ainsi, au T4 2008, le jeu sur les stocks avaient retiré 0,7 point à la croissance, -0,8 point ce trimestre ci, autrement dit, le déstockage explique plus de la moitié de la récession.
Il semblerait aujourd'hui que ce processus de déstockage touche à sa fin dans un certain nombre de secteurs industriels. Autrement dit, on devrait avoir, dès la rentrée de septembre, une re-accélération de la production industrielle, pour cause de restockage dans certaines usines. Ce phénomène n'est pas propre à la France. La conjugaison du restockage et des effets des politiques économiques keynésiennes (recul des taux d'intérêt, progression de la masse monétaire, explosion des dépenses publiques) a permis une stabilisation de l'économie mondiale, comme en témoigne, par exemple, la remontée des cours de matières premières.
La reprise devrait donc bien se matérialiser d'ici 2010, mais de façon extraordinairement lente et chaotique. On ne sort pas indemne d'une crise de cette violence et il faudra payer le coût des politiques de relance. Ainsi, après une récession de 3% cette année (bien plus forte que celles de 1975 et 1993), j'attends une progression du PIB de 0,5% en 2010.
138.000 emplois ont été détruits au 1er trimestre en France dans le secteur privé, en grande partie en raison de l'intérim. Ce qui confirme deux points. D'une part, l'emploi n'est plus une variable retardée de la conjoncture mais une variable coïncidente. Elle colle à l'activité, les entreprises étant devenues très réactives. D'autre part, le marché du travail français est devenu très flexible, mais de la pire manière qui soit : non pas par la négociation patronat-salariés mais par le recours massif à l'intérim et aux CDD. Il y a là un bon sujet de politique économique pour ces prochains mois.
- Marc Touati (Global Equities)
Une fois encore, l'économie française a sauvé la face grâce à la consommation des ménages. En effet, alors que la consommation s'écroule dans la quasi-totalité des pays développés, la France se paie aujourd'hui le luxe de rejoindre les Etats-Unis dans le club très fermé des pays bénéficiant d'une progression de la consommation des ménages au premier trimestre 2009 (en l'occurrence +0,2%).
Pour autant, les bonnes nouvelles s'arrêtent là, car les comptes nationaux du premier trimestre 2009 consacrent une récession historique pour l'Hexagone.
Ainsi, avant même de parler de la baisse de 1,2% du PIB du premier trimestre, il faut noter que les chiffres des trois trimestres précédents ont tous été en revus en nette baisse. Par exemple, la fameuse augmentation du PIB du troisième trimestre (qui nous avait soi-disant permis d'éviter les deux trimestres consécutifs de baisse du PIB qui marquent techniquement l'avènement d'une récession) a été transformée en un recul de 0,2%. Autrement dit, la récession a bien commencé dès le deuxième trimestre 2008, puisque ce dernier a marqué le début d'une phase continue de baisse du PIB qui atteint désormais quatre trimestres.
Pis, les replis du PIB des deuxième et quatrième trimestres 2008 ont été révisés à la baisse (de respectivement -0,1 et -0,4 point). En d'autres termes, les chiffres que nous commentons depuis presque un an étaient faux.
Cela signifie donc que si les chiffres des précédents trimestres n'avaient pas été révisés, la baisse du PIB aurait atteint 2% sur le seul premier trimestre 2009. Ah, les plaisirs et les faux-semblants de la statistique.
Toujours est-il que le glissement annuel du PIB atteint aujourd'hui -3,2%. Du jamais vu dans l'histoire économique française, du moins depuis que les statistiques de l'Insee en la matière existent.
Le détail des comptes nationaux du premier trimestre est d'ailleurs globalement très négatif. En effet, à l'exception de la consommation des ménages et de la consommation publique (qui stagne), tous les postes du PIB affichent des baisses massives. A commencer par l'investissement des entreprises (-3,2%) et celui des ménages (-1,5%). Les exportations ne sont également pas en reste, puisqu'elles s'effondrent de 6%, soit davantage que les -5,3% enregistrés par les importations, marquant par là même une contribution légèrement négative du commerce extérieur. Enfin, sans surprise également, le PIB a été fortement amputé par un déstockage massif, puisque la formation de stocks a enlevé 0,8 point à la croissance du premier trimestre, après lui avoir déjà retiré 0,7 point au quatrième trimestre 2008.
A côté de la résistance de la consommation, ce déstockage constitue d'ailleurs la deuxième lueur d'espoir des comptes nationaux du premier trimestre. Car, compte tenu de cet ajustement massif et excessif par rapport à l'état effectif de l'économie française, en particulier en matière de consommation, les entreprises devraient au moins réduire leur déstockage voire reprendre le chemin d'un léger restockage au cours des prochains trimestres.
Cela signifie donc que, malgré un acquis de décroissance de -2,5% à la fin du premier trimestre, le PIB pourrait finalement ne reculer que de 1,8% sur l'ensemble de l'année 2009, notamment grâce à une reprise progressive de l'activité à partir de l'été.
Néanmoins, ne rêvons pas, le rebond ne pourra pas être fort compte tenu de la faiblesse et des retards pris par la relance monétaire eurolandaise et la relance budgétaire française, sans parler du niveau de l'euro toujours trop élevé qui limitera l'ampleur de notre reprise.
Pour 2010, la France devrait donc renouer avec la croissance mais de seulement 0,8% à 1% au maximum. Soit bien trop peu pour inverser les déficits publics qui avoisineront les 6% du PIB tant cette année que l'an prochain. Tout ça pour seulement 1% de croissance. Avouons que cela fait cher payer le dixième de point de croissance.
- Alexander Law (Xerfi)
Il ne pouvait en être autrement : dans un ENVIRONNEMENT international exécrable, le PIB de la France a baissé violemment au premier trimestre 2009 (-1,2%). La mauvaise nouvelle c'est que le second semestre de 2008 a été fortement revu à la baisse, ce qui réduit la croissance totale de l'année dernière à 0,3% seulement. Au passage, nous apprenons également aujourd'hui que la récession que nous traversons a officiellement débuté au deuxième trimestre de l'année dernière (T3 étant passé en territoire négatif). C'était malheureusement une évidence, car c'est à cette époque-là qu'a commencé la terrible vague de destructions d'emplois. Celle-ci prend d'ailleurs une ampleur dévastatrice: au cours des trois premiers mois de l'année, ce ne sont pas moins de 138.000 postes qui ont été détruits dans l'économie française, ce qui correspond à une baisse de l'emploi de 2% en glissement annuel. L'information est grave, car il s'agit aujourd'hui de la menace la plus importante que nous devons affronter. Si la consommation venait à céder sous les coups de boutoir de la flambée du chômage, il serait alors possible que la récession se transforme en dépression. Nous continuons de penser que le pire des scénarios sera évité. Mais, eu égard à l'acquis de croissance au sortir du premier trimestre, nous ne pouvons désormais tabler au mieux que sur une baisse du PIB autour de 2,5% pour cette année.
Commençons cependant par les bonnes nouvelles : les consommateurs font encore de la résistance. Pour le deuxième trimestre d'affilée, les dépenses des ménages ont ainsi augmenté de 0,2%, sous l'effet d'une nouvelle progression de leur pouvoir d'achat. De fait, en T1, les salaires réels ont augmenté de 2,4% essentiellement grâce à la modestie d'une inflation qui pourrait même devenir ponctuellement négative au cours des prochains mois.
Il convient toutefois d'être très prudent quant à l'évolution de cet indicateur d'ici à la fin de l'année et ce pour trois raisons :
- d'une part, la désinflation que nous connaissons devrait progressivement s'interrompre à compter de la fin de l'été;
- d'autre part, la remontée du chômage va forcément amputer les revenus de centaines de milliers de foyers (et notamment ceux à la plus forte propension à consommer) ce qui constituera un frein majeur à l'HORIZON de la fin de l'année;
- enfin, parce que le climat économique délétère associé aux pertes d'emplois massives constitue un terreau idéal pour la reconstitution (quand c'est possible) d'une épargne de précaution importante.
Dans ces conditions, si on ne peut qu'acquiescer au constat que la relance de la consommation s'est faite "naturellement" par le truchement de la baisse de l'inflation, il est fort possible que l'Etat soit contraint à intervenir au cours des prochains mois afin d'éviter l'effondrement de la seule composante de l'économie française qui puisse nous sortir de manière pérenne de l'ornière.
Ce qui est frappant également dans la publication de ce jour, c'est la violence réitérée du déstockage des entreprises. Ce phénomène a coûté 0,8 point à la croissance en T1 : en d'autres termes, les deux tiers de la baisse du PIB sont attribuables au déstockage. Cette évolution est somme toute logique : confrontés à un manque de visibilité conjoncturelle inouï, ainsi qu'à la nécessité de dégager la trésorerie la plus abondante possible, les chefs d'entreprise sont obligés de limiter les frais sur trois tableaux : l'investissement, les frais de personnel et les stocks.
La bonne nouvelle, c'est qu'en raison de l'ampleur de l'ajustement, un rebond technique devrait intervenir au second semestre. Pour l'heure, en revanche, on ne peut rester que dubitatifs quant à la possibilité que cette reprise industrielle soit pérenne.
Du côté des mauvaises nouvelles, on retrouve une fois de plus l'investissement, aussi bien dans sa composante construction qu'équipement. Pour les entreprises, les seules dépenses importantes qui devraient être engagées concerneront les gains de productivité. Eu égard à l'étendue des capacités de production inutilisées, une reprise des investissements de capacité devrait être très longue à se dessiner. Il faut dire également que les entreprises tricolores ne peuvent pas compter sur une forte demande internationale: sur fond d'écroulement de la croissance chez NOS principaux partenaires (l'Allemagne, l'Espagne ou le Royaume-Uni pour ne citer qu'eux ont enregistré des performances économiques bien pires que celle de la France en T1), nos exportations ont fondu de 6% en volume. On ne doit ainsi la contribution nulle du commerce extérieur à notre croissance qu'au repli de 5,3% des importations pendant ce même laps de temps.
Un mot pour conclure sur le rôle de la dépense publique. Là, le constat est bien simple : en T1, la dépense et l'investissement des administrations publiques ont progressé d'un fulgurant 0% pour la première et -0,8% pour le deuxième. Cela montre bien que le choix d'une relance par l'investissement pose le problème de la logique temporelle de son efficacité. L'impact du plan de relance gouvernemental ne sera véritablement visible dans les chiffres qu'à compter de 2010. Or, c'est bel et bien aujourd'hui que l'économie française a besoin d'être soutenue. Pendant ce temps, la consommation résiste, mais pour combien de temps encore ?
- Frédérique Cerisier (BNP Paribas)
Selon les résultats préliminaires publiés par l'Insee, le recul de l'activité a été de 1,2% t/t au premier trimestre 2009. Le détail des comptes nationaux a révélé une forte chute de la plupart des déterminants de la demande, à l'exception notable de la consommation des ménages, des évolutions globalement en ligne avec les données mensuelles d'activité déjà disponibles.
En fait, la principale "surprise" de cette publication réside dans l'ampleur des révisions apportées sur l'évolution de l'activité au cours des trimestres précédents, en particulier au T3 08 (-0,2% t/t contre +0,1% précédemment estimé) et au T4 08 (-1,5% t/t contre -1,1% ). Dans l'ensemble, la progression annuelle (g.a.) du PIB au T4 2008 a été revue à la baisse de 0,8 dixième, à -1,7% g.a. au T4 08 contre -0,9% précédemment estimé.
Au final, le PIB était en baisse de 3,2% g.a. à l'issue du premier trimestre 2009, avec un acquis de croissance pour 2009 de -2,5%. Dans ces conditions, et même si l'évolution du PIB au seul T1 est plutôt conforme aux attentes, la situation de l'économie française apparaît aujourd'hui sensiblement plus dégradée qu'on ne pouvait le croire jusqu'ici.