
La justice a infligé mercredi un désaveu sévère à Airbus et à la gestion de son personnel en interdisant au constructeur aéronautique de retenir certains critères de comportement pour décider des primes à octroyer à ses cadres en France.
La cour d'appel de Toulouse a décidé de "suspendre" le système d'évaluation des 5.000 cadres des usines Airbus en France car il intègre des "critères comportementaux non conformes aux exigences légales", a déclaré l'avocate de la CGT, Me Emmanuelle Boussard-Verrecchia, en lisant l'arrêt communiqué par la cour.
Les entretiens annuels pourront se poursuivre s'ils n'intègrent pas ces critères pour l'octroi des primes aux cadres. Airbus revendiquait d'évaluer non seulement leurs résultats, mais aussi leur défense des "valeurs" de l'entreprise.
"La façon de manager le personnel est remise en cause (...) On ne peut pas juger une personne à partir de son comportement, mais sur des objectifs de travail", s'est réjoui Xavier Petrachi, délégué syndical central de la CGT (10,3% des voix chez Airbus, 6% chez les cadres).
Dans un communiqué, la direction d'Airbus "prend acte" de l'arrêt, mais estime que la cour d'appel "a reconnu la légitimité de principe des méthodes d?évaluation des cadres fondées sur des critères comportementaux comme définis dans +The Airbus Way+", les valeurs de l'entreprise à défendre par le personnel.
Airbus a instauré en 2003 un entretien annuel permettant de fixer la "part variable" de la rémunération des cadres. La procédure s'est d'abord appliquée au premier cercle de la direction générale, puis à 240 cadres dirigeants.
Le système, informatisé et rebaptisé "P et D", a été généralisé en 2010.
Parmi les critères comportementaux non conformes cités par la cour d'appel, selon Me Emmanuelle Boussard-Verrecchia, figuraient "agir avec courage" ou "prendre des décisions justes et courageuses dans l'intérêt d'Airbus, et assumer la pleine responsabilité de leurs conséquences".
Ces critères, selon l'avocate, "entraînent une évaluation subjective de l'encadrement". "Il y a une connotation morale parce que, manifestement, il y a une finalité disciplinaire étrangère à la finalité de l'évaluation", dit l'arrêt.
La cour d'appel a aussi estimé que le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), institution représentative du personnel, aurait dû être informé avant la mise en oeuvre d'un tel système car celui-ci "entraîne une insécurité, une pression psychologique", a ajouté l'avocate.
Pour la direction, la cour "a considéré que certains critères comportementaux devaient être précisés" pour tenir compte des niveaux de responsabilité divers des ingénieurs et cadres, ce qu'Airbus "avait déjà envisagé".
Enfin, la direction estime que "le principe de sa démarche n?est nullement remis en cause", et précise qu'elle va se rapprocher des partenaires sociaux "pour tenir compte des observations de la cour d'appel" lors de la campagne d?évaluation 2012.
Concernant les entretiens déjà réalisés en 2010 et 2011, avec les critères comportementaux incriminés, Airbus note "avec satisfaction" que la cour d'appel a reconnu "qu?aucune politique de quotas dans la différenciation de la performance des ingénieurs et cadres n?avait été pratiquée".
Selon l'avocate de la CGT, il appartiendra à chaque salarié de demander que les informations de son dossier concernant les critères comportementaux soient effacées.
En première instance le 3 février, l'action de la CGT avait été déclarée irrecevable pour des raisons de procédure. Le tribunal avait cependant estimé que la question posée sur le fond, "à savoir la possibilité d'intégrer la notion de courage dans une grille d'évaluation", méritait débat.
La CGT était le seul syndicat d'Airbus a avoir engagé une action judiciaire contre ce système.