La banque centrale des Etats-Unis (Fed) a choisi de se lier les mains en promettant deux années supplémentaires de taux d'intérêt directeur proche de zéro, faute de mieux pour soutenir l'économie dans l'immédiat.
"Au moins jusque mi-2013", soit après les élections présidentielle et législatives de novembre 2012 : c'est l'échéance promise par la Fed dans un communiqué mardi pour maintenir ce taux au niveau de 0% à 0,25% où il se trouve depuis décembre 2008.
Michael Gapen, de la banque Barclays, y voyait un "pas exceptionnel", et Inna Mufteeva, de Natixis, "un engagement intransigeant".
Avec la perspective de ces presque cinq ans de taux au plancher, la Fed entre dans des territoires seulement explorés avant elle par la Banque du Japon, dont le taux d'intérêt directeur n'a pas dépassé 0,5% depuis 1995.
Il y avait un paradoxe dans cette décision de recourir "au plus facile des outils de la politique monétaire à mettre en oeuvre", selon l'expression de Mme Mufteeva, "la communication".
Autant elle était destinée à donner un coup de pouce au moral des investisseurs, en permettant que les banques du pays empruntent quasi gratuitement pendant deux ans encore; autant elle révèle le peu de confiance de la banque centrale dans la croissance.
"Cet engagement diminue la souplesse de la Fed", soulignait Harm Bandholz, de la banque italienne UniCredit. Sans changer grand-chose à la donne : "Les marchés avaient déjà repoussé leurs prévisions de hausse des taux à fin 2012-début 2013, et les taux d'intérêt à long terme sont actuellement à des niveaux historiquement bas".
"Je pense que la date de 2013 est absurde. Nous aurons une élection l'année prochaine qui pourrait fortement infléchir la politique monétaire. Par ailleurs la Fed ne sait pas si une dépréciation supplémentaire du dollar augmentera les prix", affirmait à l'AFP Allan Meltzer, auteur d'une histoire de la Fed.
A très court terme, Wall Street a apprécié, terminant en très forte hausse mardi. A plus long terme, les effets de la politique dite "de taux d'intérêt zéro" sont très controversés.
Le taux de chômage, à 7,3% quand elle a été lancée, est aujourd'hui à 9,1%.
Selon les promoteurs de cette politique, elle est pourtant la seule possible face à ce fléau. C'est la thèse du président de la Fed, Ben Bernanke.
Selon ses critiques, elle ne fait que conforter le secteur financier dans des paris stériles pour l'économie réelle.
L'un des membres du comité politique monétaire de la Fed, Narayana Kocherlakota, un économiste respecté, a voté contre. Il expliquait dans un discours en août 2010 qu'un taux d'intérêt maintenu "trop longtemps" à zéro poussait l'économie vers la déflation, et déprimait donc l'activité.
Cet engagement jusqu'en 2013 a suscité trois votes contre le communiqué du comité de politique monétaire, du jamais vu depuis que l'instance a publié le premier en 1994. Pour trouver autant d'opposants, il faut remonter à 1992.
Pour Dan Greenhaus, du courtier BTIG, cité par le Wall Street Journal, ce vote était "assez proche d'une mutinerie".
Mais les analystes de Nomura ne voyaient pas cette contestation comme devant compliquer l'adoption de nouvelles mesures d'aides à l'économie discutée par la Fed.
"La décision de faire sortir le communiqué avec trois dissensions indique que M. Bernanke n'est pas paralysé par la peur d'avoir plus de deux voix discordantes. Donc s'il décidait qu'un nouvel assouplissement est nécessaire, il prendrait le risque d'avoir encore des dissensions", avançaient-ils.