Eruption urbanistique, cité laboratoire, bouillonnement industriel, ville-province, mégalopole tentaculaire: les mots se bousculent pour décrire Chongqing, nouvelle "capitale" du centre de la Chine où affluent les multinationales.
Les grues et les tours par milliers barrent l'horizon, jamais loin en raison de la pollution. Des chantiers, des usines ultramodernes, de nouveaux ponts, toujours plus d'autoroutes. Une impression d'effervescence jour et nuit. Chongqing est un condensé de la Chine. En plus corsé.
Les chiffres donnent le tournis : 33 millions d'habitants (population du Canada); un PIB per capita multiplié par six de 2002 à 2009; 17% de croissance en 2010; un bond de 72% du commerce extérieur début 2011.
Dépassée l'époque où Chongqing était d'abord présentée comme une "fournaise" moite et étouffante.
"Les médias commencent à évoquer Chongqing de façon positive", constate adam McWhirter, représentant local de la chambre de commerce européenne.
Depuis le téléphérique surplombant le fleuve Yangtsé, il désigne les gratte-ciel qui ont poussé en trois ans et les palaces en construction : Sheraton, Westin, Kempinski, Shangri-La. "C'est Manhattan posé en face de Hong-Kong".
Comment explique-t-il un tel essor ? D'abord par la politique gouvernementale du "Go West", qui s'accompagne d'incitations fiscales pour les entreprises. Ensuite par le coût de la main d'oeuvre, nettement inférieur ici.
En mars, le gouvernement a inclus dans son XIIe Plan (2011-2015) la nouvelle zone de développement économique baptisée Liangjiang ("Deux fleuves").
Après Shenzhen dans le Sud (années 1980), Pudong à Shanghai dans l'Est (années 1990) et Binhai à Tianjin dans le Nord (années 2000), la décennie 2010 sera celle de Chongqing. Liangjiang vise un PIB de 16 milliards d'euros en 2012 et 65 milliards en 2020.
"Les investisseurs affluent, de Chine et du monde entier", souligne Huang Chengfeng, de l'Université des Transports de Chongqing. Parmi les poids lourds figurent Nokia, Metro, BASF, Honda, Lafarge.
"Les ventes d'automobiles ont augmenté de 56% en 2010 dans l'Ouest chinois, nettement plus que les capacités industrielles", s'enthousiasme Marin Burela, PDG de Changan-Ford-Mazda. "Chongqing va devenir le deuxième plus grand centre automobile de Ford dans le monde après Detroit". Ford aura bientôt trois usines supplémentaires à Chongqing.
Une vaste pépinière high-tech est aussi en train de naître, avec les Taïwanais Foxconn, Acer et l'Américain Hewlett-Packard. D'ici deux ans Chongqing fabriquera un tiers des ordinateurs portables dans le monde.
Pour ces marchandises la mégapole compte énormément sur une voie ferrée de fret, passant par l'Asie centrale jusqu'à Anvers et Rotterdam. Un raccourci révolutionnaire concurrençant la voie maritime depuis Shanghai ou Hong Kong : une quinzaine de jours de voyage, contre une quarantaine en porte-conteneurs.
"Sur le plan logistique, Chongqing va avoir accès au monde entier", résume M. McWhirter. En mai a été inaugurée une ligne aérienne de fret et Chongqing achemine aussi ses cargaisons sur le Yangtsé.
Le trafic passager à l'aéroport a bondi de 72% dans la première moitié de 2010. D'ici 2015 seront construits un troisième terminal et une troisième piste. "En 2035 il y aura quatre pistes avec 70 millions de passagers par an", selon M. Huang.
Evidemment les menaces sociales et environnementales planent. Mais le puissant chef du parti communiste, Bo Xilai, assure s'y attaquer en injectant des milliards de yuans dans l'immobilier, les infrastructures, la plantation d'arbres.
La surchauffe "est une inquiétude d'Occidental", affirme l'architecte Gan Chuan. "La situation s'est améliorée depuis dix ans".
Même les masses de paysans misérables y gagnent en devenant ouvriers. D'autres poursuivent leur destin de damnés de la Terre en officiant comme "bang bang", le surnom des milliers de porteurs équipés d'une palanche en bambou, coolies du XXIe siècle.