La Banque centrale européenne (BCE) a décidé jeudi de maintenir son principal taux directeur inchangé à 1%, mais a provoqué un coup de tonnerre sur la planète finance en annonçant qu'elle pourrait l'augmenter dès sa prochaine réunion d'avril.
Son président Jean-Claude Trichet a déclaré jeudi à l'issue de la réunion mensuelle du conseil des gouverneurs de la BCE qu'une hausse des taux le mois prochain était "possible, mais pas certaine", invoquant des risques inflationnistes à la hausse.
"C'est un choc pour nous compte tenu de notre prévision" de voir ce taux maintenu jusqu'en septembre, soulignaient les économistes de RBS Jacques Cailloux, Nick Matthews et Silvio Peruzzo, alors que sur le marché des changes l'euro bondissait, dépassant le seuil de 1,39 dollar pour la première fois depuis près de quatre mois.
M. Trichet, qui contrairement à son habitude n'a pas précisé que les taux directeurs restaient "appropriés", a laissé entendre qu'il ne fallait toutefois pas s'attendre à un mouvement brutal du loyer de l'argent en zone euro.
Pour Julian Callow, de Barclays Capital Research, comme pour Marco Bargel de Postbank, la hausse pourrait être de 25 points de base.
Et alors que M. Trichet a pointé qu'une telle hausse, si elle a lieu, ne signifierait pas "le début d'une série" d'autres, la question qui se pose désormais, selon Julian Callow est: "à quand la suivante?".
Les économistes jugent en effet inévitable au moins deux hausses des taux cette année.
"L'augmentation des taux dépendra de la situation générale observée", a encore déclaré M. Trichet qui s'est alarmé du niveau actuel de l'inflation dans la zone euro: 2,4% en février, soit au-dessus de l'objectif de stabilité des prix de la BCE qui est de la maintenir à un niveau proche mais inférieur à 2% à moyen terme.
Face à l'inflation, le conseil des gouverneurs fait montre d'une "grande vigilance" et est prêt à réagir de "manière ferme", a-t-il souligné avant d'admettre que pour l'instant la flambée des prix de l'énergie et des matières premières n'avaient pas eu d'effet de "second tour". C'est-à-dire qu'elle n'a poussé ni les salaires ni les autres prix sur une pente ascendante.
La BCE a toutefois revu à la hausse jeudi ses prévisions d'inflation, tablant désormais sur une hausse des prix de 2,3% en 2011, contre 1,8% jusqu'à présent, et de 1,7% en 2012, contre 1,5% précédemment.
Mais alors que la reprise reste fragile dans nombre de pays, ces chiffres ne justifient pas la mise en garde appuyée de la BCE, estime Julian Callow. "Selon nous, la BCE se prépare à relever ses taux trop tôt", écrit-il.
"Cette nouvelle stratégie n'est pas sans risque, renchérit Carsten Brzeski, d'ING. "Certains pourraient penser que la BCE fait la chasse aux fantômes" à un moment où l'inflation sous-jacente (c'est-à-dire hors prix énergétiques) reste contenue et où l'on ne voit "nulle trace d'effets de second tour" avec les salaires, ajoute-t-il.
Andreas Rees, d'UniCredit, soulignait la dimension politique de l'annonce. "C'est un signal fort en direction des dirigeants politiques européens (...) que la BCE est une institution indépendante qui veut agir hors des influences politiques".
M. Trichet a aussi annoncé la poursuite des mesures de la BCE en faveur des banques: ses prêts à un mois et trois mois à montants illimités et taux fixe sont prolongés au moins jusqu'en juillet.
Nombre de banques grecques, irlandaises ou portugaises sont encore très dépendantes de cet approvisionnement en argent bon marché.
La BCE a aussi révisé à la hausse ses prévisions de croissance pour la zone euro. Elle attend une progression du Produit intérieur brut (PIB) de 1,7% en 2011 et de 1,8% l'année prochaine.