
Estimant avoir payé pour la crise, les salariés allemands exigent leur part du gâteau alors que l'économie bat des records, que les profits des grandes entreprises montent en flèche et que le chômage fond à vue d'oeil.
"Les syndicats ont agi avec beaucoup de responsabilité pendant la crise", préférant mettre de côté les revendications salariales en échange de garanties pour l'emploi, explique Gernot Nerb, spécialiste à l'Ifo, l'un des principaux instituts de conjoncture allemands.
Mais désormais, les salariés entendent être payés en retour lors des négociations annuelles de branche. Les fonctionnaires régionaux demandent ainsi des augmentations de "plus de 7%", et le syndicat ver.di, dans le tourisme, une revalorisation de 3,5%.
Les chemins de fer sont aussi passés à l'action cette semaine, avec une demi-journée de grève pour l'extension du salaire minimum aux concurrents de Deutsche Bahn.
IG Metall, le plus puissant syndicat du pays, a appelé à manifester sur ce thème. "Les salariés ont aidé à surmonter la crise. Maintenant, ils demandent à ce que leur revienne leur juste part de la croissance", dit-il.
Un son de cloche qui trouve écho au sein même du gouvernement. Le ministre de l'Economie, le libéral (FDP) Reiner Brüderle, a ainsi récemment déclaré que "quand la croissance s'envole, des hausses de salaires conséquentes sont possibles".
Or cette dernière devrait afficher 3,4% en 2010, selon les nouvelles prévisions gouvernementales.
La modération salariale a joué "un grand rôle" dans cette reprise qualifiée de "miracle économique", couplée à un dispositif de chômage partiel qui a touché jusqu'à 1,4 millions d'Allemands en 2009, mais évité de nombreux licenciements, estime M. Nerb.
Le chômage a aujourd'hui fondu, et les grandes entreprises du Dax ont commencé cette semaine à annoncer des centaines de millions d'euros de bénéfices trimestriels, ravivant l'appétit de leurs employés.
D'autant que les Allemands se serrent la ceinture depuis longtemps.
Le pays est certes dans le tiers supérieur pour le niveau de ses salaires en Europe, "mais leur évolution est depuis dix ans bien plus défavorable en Allemagne que dans les autres pays européens, dont la France, l'Italie et l'Espagne", souligne M. Nerb.
L'industrie automobile, l'un des plus gros employeur du pays, a choisi de prendre les devants.
Bosch s'est attiré cette semaine des louanges syndicales inhabituelles en annonçant une augmentation avec deux mois d'avance pour 85.000 employés, "remerciés pour leur grande loyauté" pendant la crise. Audi lui a emboîté le pas, Porsche est en passe de le faire, et chez Daimler la pression se fait forte pour suivre.
"Une augmentation modérée des salaires" serait une bonne nouvelle pour l'économie allemande car elle encouragerait les ménages à consommer, soutenant la croissance, souligne Heinrich Bayer, économiste chez Postbank.
Les pénuries de main d'oeuvre que commencent à connaître certains secteurs pourraient aussi pousser les salaires vers le haut.
Mais si le "miracle économique" allemand finit par payer pour ces salariés, les syndicats pointent aussi les laissés pour compte que sont les travailleurs pauvres, peu qualifiés, et les précaires.
"La croissance ne sera durable que quand les gens seront en contrat à durée indéterminée et pourront vivre de leur salaire, et pas avec une armée de salariés mal payés", a déclaré cette semaine le vice-président d'IG Metall Detlef Wetzel, pointant le "million de travailleurs intérimaires et près de 7 millions de personnes à bas salaires" en Allemagne.