Envahie par les déchets électriques et électroniques, l'Inde se dote progressivement d'une filière de recyclage spécifique et ferme ses frontières aux importations anarchiques. Une stratégie délicate à mettre en œuvre, puisque 90% du traitement de ces déchets se fait aujourd'hui sur le circuit informel.
Le 22 février dernier, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) publiait un rapport inquiétant sur la prolifération des déchets électriques et électroniques (DEEE), notamment en Inde. En cause, la consommation croissante d'appareils électroniques par les ménages indiens, et surtout, les 50 000 tonnes d'appareils de seconde main, importés chaque année, essentiellement des États-Unis, des Émirats Arabes Unis et d'Union Européenne. D'après le PNUE, les décharges indiennes seraient ainsi vouées à recevoir cinq fois plus d'ordinateurs et dix-huit fois plus de téléphones portables d'ici 2020. Une situation sanitaire qui préoccupe de plus en plus le gouvernement central, car ces déchets toxiques (ils renferment des métaux précieux tels que l'or ou l'argent, mais aussi du cadmium, de plomb et du mercure) sont « traités » à 90 % par le circuit informel. Des centaines de familles rachètent ces appareils en fin de vie pour les désosser, en extraire la matière valorisable et la revendre, assurant ainsi un revenu minimum pour leur FOYER (voir article lié).
Réguler les importations
Le gouvernement indien s'est donc engagé depuis quelques mois dans l'assainissement de cette filière informelle. Pour ce faire, il agit sur tous les fronts. D'abord, en régulant les importations massives, souvent pratiquées par des négociants peu scrupuleux qui n'hésitent pas à qualifier « d'appareils de seconde main » des tonnes de carcasses d'ordinateurs, de réfrigérateurs et autres appareils inutilisables. Depuis 2008, la gestion de ces déchets est encadrée par la loi sur les « déchets hasardeux ». Elle soumet notamment l'entrée des DEEE sur le territoire indien à l'obtention d'un permis. Mais en mai dernier, le ministère indien des eaux et forêts a fait passer une note relative au projet de loi sur la gestion des DEEE. La responsabilité des importateurs y est grandement renforcée : ils sont désormais tenus de remplir une déclaration spécifique pour toute importation de DEEE, de renseigner le poids et les caractéristiques toxiques de ces déchets, et surtout, de ne pas dépasser un seuil de toxicité pour chaque composant (cadmium, chrome, mercure, etc.). Quant aux appareils de seconde main, ils ne sont plus les bienvenus en Inde. Un durcissement des règles que soutient ardemment Paresh Parekh. Directeur de Total Waste, société britannique de services spécialisée dans la gestion des déchets, il accompagne le gouvernement indien dans sa stratégie de réduction des DEEE. « Beaucoup d'entreprises étrangères, et en particulier européennes, exportent leurs déchets en Inde, alors même qu'elles touchent de l'argent, via des taxes ou autres, pour assurer le recyclage de ces déchets, déplore-t-il. Or, ce sont les importations de DEEE qui alimentent en grande partie des décharges. Cet état de fait est plutôt contradictoire avec le principe de responsabilité des producteurs dont les européens parlent tant. »
Structurer une filière nationale pérenne
Par ailleurs, la hausse du niveau de vie des ménages moyens va de pair avec une augmentation de la consommation d'appareils électroniques. Le défi majeur reste donc la création d'une filière de recyclage propre et sécurisée, et surtout, l'intégration des travailleurs du circuit informel à cette filière. Le gouvernement impose donc depuis peu la certification des entreprises de traitement des DEEE. En conséquence, de nombreux « recycleurs » informels se voient aujourd'hui refusé l'achat de déchets à valoriser, faute de certification.
Comment intégrer ces travailleurs informels dans une filière en construction ? L'État de Karnataka, au sud de l'Inde, tente de répondre à la question. Le Bureau local de contrôle de la pollution (BCPK) a en effet élaboré le programme Crystal, qui consiste à rassembler les entreprises de recyclage de la région, et à les aider à fédérer leur savoir-faire. Un accord a d'ailleurs été signé entre E-Parisara, entreprise indienne de recyclage certifiée et basée à Bangalore, Umicore Precious Metal Refinery, entreprise belge de recyclage des métaux, et l'organisme indo-germanique-suisse E-Waste Agency, pour développer des techniques de recyclage plus propres au Karnataka. Les métaux précieux extraits par les « recycleurs » du programme Crystal seront ainsi acheminés en Belgique, où ils seront traités par Umicore.
Cette expérience de coopération à la fois internationale mais également très ancrée sur un territoire local devrait faire des émules. Car comme le précise le Centre pour la science et l'ENVIRONNEMENT indien, seules 13 entreprises indiennes de recyclage sont aujourd'hui certifiées pour isoler les composants des DEEE, et une seule - Attero- est certifiée pour le recyclage. Les travailleurs informels achètent encore les déchets à meilleurs prix que les entreprises, soumises à davantage de frais. Celles-ci tournent donc à moins de 50% de leurs capacités, malgré une quantité de déchets qui croît de façon exponentielle. Encore trop confidentiel, ce secteur devra pour se développer intégrer les travailleurs informels pour éliminer leur concurrence et ne pas isoler ces familles dans l'illégalité et la précarité.