Les producteurs français de gruyère minimisent la décision de Bruxelles de réserver l'appellation d'origine contrôlée AOC à leurs concurrents suisses, qui dominent largement ce marché.
"Il n'y a pas eu de guéguerre franco-suisse sur le gruyère (...) et chaque pays aura toujours la possibilité d'utiliser cette dénomination", a assuré à l'AFP Bernard Cassard, animateur du syndicat interprofessionel du gruyère (France).
Suisses et Français ont "construit ensemble le dossier" devant Bruxelles, a-t-il affirmé. "Nous nous sommes adaptés à la juridiction européenne pour pouvoir aboutir à la protection du mot gruyère" de chaque côté de la frontière suisse et française, a-t-il assuré.
Saluant la décision de Bruxelles, qu'elle qualifie de "bonne avancée", la filière suisse du Gruyère a quant à elle affirmé vouloir désormais "se battre au niveau mondial pour une protection" totale du nom dans le cadre des accords à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Les Suisses ont obtenu leur AOC depuis 2001 et la garderont tandis que les Français ont décroché la dénomination IGP (indication géographique protégée), moins prestigieuse mais qui leur permet de conserver l'utilisation de la dénomination gruyère.
Le problème est que si l'AOC est un label connu des consommateurs, l'IGP l'est beaucoup moins. "Il faudra de la communication", a concédé M. Cassard.
La France et la Suisse se sont déjà reconnu de longue date la paternité commune de la dénomination mais les hostilités ont commencé lorsqu'ils ont voulu chacun décrocher la prestigieuse appellation européenne AOP (appellation d'origine protégée).
S'ils portent le même nom, les deux gruyères sont très différents: le suisse n'a pas de trou, contrairement au français. Il est "plus corsé, il a un goût plus marqué", tandis que le français "a un goût plus sucré dû aux trous", relève le directeur de l'Interprofession suisse du Gruyère Philippe Bardet.
Le suisse est fabriqué dans une bourgade du même nom, près de Fribourg, le français dans plusieurs régions proches de la frontière helvétique.
Pour les producteurs helvétiques, l'enjeu est de taille. Avec une production d'environ 29.000 tonnes, le gruyère est l'un de leurs fromages phare. Le pays exporte 13.000 tonnes dont 7.200 vers l'Union européenne.
En France, le Gruyère ne représente, lui, que 2.000 tonnes. Une production minime par rapport au camembert (110.000 tonnes) ou à l'emmental avec lequel on le confond souvent (340.000 tonnes).
Les Suisses détenaient l'AOC depuis 2001, les Français l'avaient décroché, eux, en 2007. Dans la foulée, ces derniers ont déposé un dossier pour l'AOP. Inquiets de voir les Français leur ravir cette dénomination, les Suisses ont suivi la même procédure.
Après trois ans d'examen, la Commission a rejeté la demande française, considérant que les conditions de production ne correspondaient pas aux exigences du règlement européen, notamment, a-t-on indiqué à l'Institut de l'origine et de la qualité (Inao) qui gère ces dossiers au niveau national et européen.
La Commission leur a donc proposé de s'orienter vers une autre appellation, l'indication géographique nationale (IGP).
Les Français ont accepté d'autant qu'un accord bilatéral entre l'Union européenne et la suisse qui vise à une protection mutuelle des dénominations de qualité (AOC, AOP, IGP) est sur le point d'être bouclé, fin 2010 ou le début 2011, selon l'Inao.
"Le jour où cet accord sera finalisé, les producteurs qui n'auront pas de label ne pourront plus utiliser la dénomination gruyère", explique-t-on de même source.