
"Les Amerloques se sont bien foutus de la chancelière", "un grave coup aux relations germano-américaines": la volte-face de General Motors, qui garde Opel, scandalisait jeudi la plupart des commentateurs allemands, alors que les salariés se mobilisaient.
L'ensemble de la presse fustige le revirement du constructeur automobile américain, qui a finalement décidé de ne plus vendre sa filiale européenne. Il y a moins de deux mois pourtant, il avait affirmé se rallier à la position défendue par Angela Merkel, une vente d'Opel à l'équipementier canadien Magna, adossé à la banque russe Sberbank.
Jeudi, quelque 10.000 salariés d'Opel se sont rassemblés devant le siège du constructeur à Rüsselsheim (ouest) pour protester contre la décision de GM, et environ 7.000 au total devant trois autres sites Opel, à Bochum, Eisenach et Kaiserslautern.
"C'est inconcevable comme General Motors a joué avec les sentiments, les peurs, les soucis, la détresse des salariés d'Opel et de leur famille", s'est emporté devant la foule le chef du comité d'entreprise d'Opel, Klaus Franz.

Le feuilleton Opel, qui a connu de nombreux rebondissements depuis un an, est considéré comme stratégique par le gouvernement, soucieux de préserver les 25.000 emplois en jeu en Allemagne.
Le 10 septembre, Angela Merkel avait tenu à annoncer elle-même, rayonnante, que la solution qu'elle privilégiait pour sauver le constructeur avait finalement été retenue par GM, une décision considérée alors comme définitive et qui sonnait comme un triomphe personnel pour la chancelière, en campagne pour sa réélection.
Depuis, Mme Merkel a été réélue, mais le coup de théâtre venu de Detroit a fait l'effet d'un "coup de tonnerre", selon le Frankfurter Rundschau. Une surprise d'autant plus désagréable que la chancelière, lorsqu'elle a appris la nouvelle, venait à peine de quitter la Maison Blanche, où Barack Obama ne lui avait rien dit du revirement de GM.
Depuis, le président a assuré à la chancelière par téléphone qu'il n'était pas au courant à ce moment-là de la décision, a indiqué jeudi le porte-parole de Mme Merkel. L'Etat américain détient plus de 60% du capital de GM mais assure régulièrement ne pas s'immiscer dans la gestion quotidienne de l'entreprise.
Pour la presse allemande de jeudi, cette affaire fait cependant "beaucoup de tort aux relations germano-américaines".

Pour le tabloïd Bild, fustigeant "les Amerloques", "il n'y a que des perdants" dans ce dossier, y compris GM "dont la réputation est ruinée".
Plusieurs quotidiens évoquent un "chantage" de GM sur les salariés d'Opel, car il les aurait "menacés d'une faillite s'ils s'opposaient à la restructuration" du groupe, qui doit se solder par 10.000 suppressions de postes en Europe, soit 20% des effectifs.
Ce chiffre, avancé mercredi par John Smith, vice-président de GM, est sensiblement le même que celui évoqué jusqu'à présent en cas d'acquisition d'Opel par Magna/Sberbank.
La différence devrait porter sur la répartition des coupes entre les usines européennes. Plusieurs partenaires de l'Allemagne lui avaient reproché, à travers la solution Magna, de privilégier les usines allemandes face à celles situées ailleurs en Europe.
Au-delà de la colère contre GM, plusieurs éditorialistes soulignent toutefois que le gouvernement allemand paie le prix de son entêtement et de son aveuglement. Berlin a "commis de graves erreurs", notamment en misant trop tôt sur une seule solution, juge le Süddeutsche Zeitung.
L'opinion publique s'est enferrée dans une "perception faussée" de la situation d'Opel, l'imaginant à tort compétitive, souligne le Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Pour l'hebdomadaire Die Zeit, Opel présente de toute façon "un grand risque, quelle que soit l'entreprise qui le contrôlera à l'avenir", car "le marché automobile européen est marqué par de grandes surcapacités".
"Quand on y regarde de près, l'argent des contribuables serait plus en sécurité partout ailleurs que chez Opel".