General Motors a fait un pari en décidant contre toute attente de garder sa filiale Opel, s'estimant capable de redresser son pilier européen au risque d'affronter l'hostilité du personnel local et la rancune des autorités allemandes, estimaient mercredi les analystes.
Le géant américain, ex-premier constructeur automobile mondial sorti il y a deux mois d'un redressement judiciaire, avait le choix entre sacrifier ses activités européennes pour mieux se redresser chez lui aux Etats-Unis, ou abandonner la stratégie du repli pour tenter un nouveau départ sur ses deux jambes.
"Dans les deux cas, c'était un pari", souligne Terrence Guay, professeur à l'Université d'Etat de Pennsylvanie (est des Etats-Unis).
Le problème, c'est que le constructeur américain, qui a indiqué dès mercredi tabler sur 10.000 suppressions d'emplois en Europe, va maintenant devoir composer "avec des salariés déçus, qui ne soutiennent pas GM, un management encore plus affaibli et des pertes massives, qui devront être financées", a souligné en Allemagne l'expert très respecté Ferdinand Dudenhöffer, de l'Université de Duisbourg.
"Ils affrontent de forts vents de face maintenant en Allemagne, avec les syndicats, les politiques, et peut-être aussi l'homme de la rue qui a fini par ne plus aimer GM en tant que société", a aussi souligné Jürgen Pieper, analyste à la Metzler Bank.
GM n'a pas tardé à s'en rendre compte: Rainer Brüderle, nouveau ministre de l'Economie, a immédiatement dénoncé une décision "inacceptable". Les syndicats locaux ont annoncé des "actions de protestation" sur tous les sites allemands dès jeudi, qui doivent ensuite s'étendre au niveau européen.
Enfin M. Dudenhöffer s'interroge sur l'intérêt pour Opel de rester en Europe de l'ouest, "une zone sans croissance avec une concurrence intense", et sur sa capacité à pénétrer le marché russe, qui aurait été plus accessible au consortium formé par l'équipementier canadien Magna associé à la banque russe Sberbank.
Mais d'autres experts soulignent plus généralement que General Motors aurait suivi une "stratégie à courte vue" en se privant de son pilier européen.
Puisque l'Union européenne avait laissé entendre que Berlin ne pouvait pas refuser à d'autres que Magna-Sberbank ses aides publiques, "notre sentiment c'est que GM pense maintenant pouvoir accéder aux 4,5 milliards d'euros de prêts et de garanties qui avaient été promis par le gouvernement allemand pour la transaction Magna", estimait mercredi l'analyste Peter Sklar, chez BMO.
M. Guay prévoit quant à lui une nouvelle répartition géographique des sacrifices imposées à Opel, soupçonnant "qu'il y aura plus de licenciements en Allemagne" où sont, selon lui, "les usines les moins efficaces".
A moins que le gouvernement allemand mette encore beaucoup d'argent sur la table: "Si GM menace de fermer (l'usine de Bochum, en Rhénanie-du-nord Westphalie), Berlin aura très envie de négocier", relève M. Pieper.
En tout état de cause, beaucoup estimaient mercredi que General Motors aurait pris un risque encore plus plus gros en sacrifiant Opel.
"Se construire un concurrent contre soi-même, et en plus sur l'important marché russe, ça n'avait pas de sens", estime le professeur Stefan Bratzel, de l'institut d'études sur l'automobile de Bergisch Gladbach.
"A long terme, Opel lié à GM n'a pas de mauvaises chances, c'est une perspective qu'il n'aurait pas eue avec Magna", ajoute-t-il.