
Deutsche Bank fait un pas de géant dans la gestion de fortune avec le rachat, à bon prix, de la très aristocratique Sal. Oppenheim, même si le véritable succès de l'investissement dépendra de la fidélité des clients du groupe luxembourgeois.
Deutsche Bank ne voulait pas rater l'occasion: la situation de Sal. Oppenheim, qui se targuait jusqu'à présent d'être la "première banque privée indépendante en Europe", s'est tant dégradée ces derniers mois que sa vente totale a été conclue mercredi pour 1,3 milliard d'euros.
"C'est vraiment bon marché", commente l'analyste Konrad Becker de Merck Finck pour l'AFP, estimant qu'avant la crise financière, il aurait fallu débourser "trois à quatre fois plus".
L'apport le plus précieux de Sal. Oppenheim est son portefeuille de gestion de patrimoine. Grâce à lui le groupe Deutsche Bank va presque doubler le sien pour dépasser les 300 milliards d'euros et se renforcer notamment en Allemagne.
Avec Sal. Oppenheim, dont la marque va perdurer, Deutsche Bank s'achète en définitive "de la renommée et de la tradition", remarque Olaf Stotz, professeur à la School of Finance de Francfort (ouest), interrogé par l'AFP.
Cependant même si le portefeuille de Sal. Oppenheim va rester autonome, certains de ses clients qui avaient choisi la banque privée familiale pour sa discrétion pourraient être tentés de changer de maison, selon M. Stotz.
Il est probable que Sal. Oppenheim gère le patrimoine privé d'entrepreneurs dont les sociétés sont déjà liées à Deutsche Bank par des crédits. A présent que tous leurs avoirs vont se retrouver sous un même toit, ils pourraient être tentés de quitter l'un ou l'autre établissement pour ne pas cumuler les risques, estime M. Becker.
Ce serait une aubaine pour les autres spécialistes européens de la gestion de fortune, les suisses UBS, Credit suisse et Julius Bär en tête, mais aussi les dernières banques privées indépendantes allemandes, comme M.M. Warburg & Co et Beremberg à Hambourg (nord) ou Metzler à Francfort (ouest).
"Les banques privées vont naturellement essayer d'attirer des clients de Sal. Oppenheim", selon M. Becker.
Deutsche Bank devra surtout retenir les conseillers de Sal. Oppenheim, les précieux intermédiaires entre la banque et ses clients. Elle a ainsi promis que "l'identité, les valeurs, la culture et la qualité du service de Sal. Oppenheim seront préservées" après le rachat prévu début 2010.
Le colosse devra faire preuve de tact pour ne pas froisser la banque privée qui enterre une indépendance vieille de 220 ans.
Le comte Matthias von Krockow, l'un des quatre dirigeants actuels de Sal. Oppenheim, se plaisait à décrire comment il se rendait autrefois à l'heure du thé chez sa belle-mère, la baronne Karin von Ullmann, pour soumettre à son approbation les grandes décisions pour l'empire familial.
La baronne étant récemment décédée, von Krockow "devra bientôt chercher des autorisations ailleurs: chez oncle Josef à Francfort", ironisait il y a quelques semaines le quotidien Die Welt, en référence à Josef Ackermann, le puissant patron de Deutsche Bank.
Les anciens propriétaires du groupe Sal. Oppenheim ne gardent qu'une OPTION sur 20% maximum de la société mère, et ils devront payer pour racheter ces parts. D'où l'exclamation d'un éditorialiste du Financial Times Deutschland: "Quelle humiliation!"