En plein coeur des Terres noires russes, une moissonneuse-batteuse dernier cri émerge d'un champ de tournesols grillés par le soleil, sous l'oeil satisfait d'Alexandre Averianov, employé de la holding suédoise Black Earth Farming (BEF).
"Les étrangers nous ont apporté des technologies innovantes et des emplois", reconnaît ce roux imposant d'une cinquantaine d'années, fier d'être à la tête d'Agro-Invest Ostrogojsk, filiale de BEF et une des principales entreprises agricoles de la région de Voronej (600 km au sud de Moscou).
"Quand nous sommes arrivés en 2006, 30% des terres de la région étaient cultivées, tandis que 70% se trouvaient en friche depuis cinq, sept, douze ans... En deux ans et demi, nous avons labouré puis nous avons pu commencer les cultures", raconte-t-il.
Aujourd'hui, outre les tournesols, la société plante et récolte blé, orge, colza ou encore maïs.
Laissées à l'abandon après la chute de l'Union soviétique, en 1991, les immenses étendues agricoles de la Russie attisent désormais les convoitises, à l'heure où la question de la sécurité alimentaire sur la planète devient un enjeu crucial.
"Le monde a de plus en plus besoin de céréales", explique l'analyste Dmitri Katalevski, évoquant le changement de régime alimentaire en Asie, au profit du blé, le développement des biocarburants, la diminution des terres arables ou encore l'augmentation de la population dans le monde.
"L'envolée des prix agricoles a incité les investisseurs à s?intéresser à ces marchandises alors qu?avant ils investissaient plutôt dans le pétrole, le métal, le gaz", ajoute M. Katalevski, du cabinet d'audit et de conseil Deloitte.
Si la Russie compte actuellement près de 170 millions d'hectares de terres agricoles, seuls 80 M ha sont cultivés. Rien d'étonnant alors que particuliers, fonds d'investissements ou même Etats soient de plus en plus nombreux à vouloir se lancer à leur conquête.
Ainsi, en avril 2009, le constructeur naval sud-coréen Hyundai Heavy Industries a acquis une part majoritaire dans Khorol Zerno, propriétaire et exploitant de 10.000 hectares de terres agricoles dans l'Extrême-Orient russe.
Venu faire une tournée de ses filiales, le suédois Sture Gustavsson, un agronome aux allures de cow-boy devenu PDG de BEF, est persuadé d'avoir fait le bon investissement en entrant sur le marché russe en 2006, lorsque la privatisation des terres a enfin été autorisée dans ce pays, après des décennies de gestion étatique.
"En Europe, le prix des terrains est très élevé" alors qu'en Russie, il est possible d'acheter un hectare pour quelques centaines de dollars, remarque M. Gustavsson, dont la holding peut se targuer d'avoir acquis plus de 300.000 hectares de "tchernoziom", cette terre particulièrement fertile que l'on ne trouve que dans une zone très restreinte, à cheval sur la Russie occidentale, l'Ukraine et le Kazakhstan.
Même si "pour le moment, c'est plutôt difficile", concède-t-il. Le prix des céréales, qui avait nettement grimpé en 2007, est retombé, tandis que le rendement des cultures sur les champs de BEF reste encore relativement faible.
Car avant de récolter les fruits de ses efforts, il faut investir et attendre quelques années pour rendre la terre plus productive.
Les nouveaux pionniers doivent aussi affronter des obstacles tels que la bureaucratie russe ou le manque d'infrastructures pour stocker les récoltes. Ainsi, BEF a décidé cette année de faire construire plusieurs silos et hangars pour conserver ses récoltes en lieu sûr, un investissement de plusieurs dizaines de milliers de dollars.
"C'est un grand défi. Mais nous adorons ça!", conclut tout sourire M. Gustavsson.