(AOF / Funds) - Dans le passé, les reprises cycliques étaient liées à la reprise du crédit : le crédit aux entreprises et aux ménages redémarre avec la baisse des taux d'intérêt en 1983-1984, le crédit aux entreprises en 1994 après la crise immobilière ; le crédit aux ménages en 2002 après la crise des entreprises des nouvelles technologies.
Il est difficile de croire que le crédit, que ce soit aux ménages ou aux entreprises, va redémarrer aujourd'hui. Ceci devrait conférer à ce cycle un profil très particulier : au lieu que la croissance accélère après la récession et devienne nettement supérieure à la croissance de long terme, elle devrait converger vers la croissance de long terme en restant inférieure à cette dernière. En effet, en sortie de récession, une croissance supérieure à la croissance de long terme implique que la demande croisse plus vite que les revenus, donc que le crédit augmente rapidement.
Par conséquent, si la croissance reste inférieure à la croissance de long terme après la récession, la reprise de la croissance n'entraînera pas spontanément une réduction des déficits publics.
Or les gouvernements racontent aujourd'hui une histoire différente : que, comme dans les cycles du passé, la croissance va redevenir très forte en 2011, nettement supérieure à la croissance potentielle (de long terme) et que, de ce fait, les déficits publics se réduiront d'eux-mêmes. Cela leur permet de justifier les déficits publics très importants mis en place aujourd'hui : en 2010, probablement 7 % du produit intérieur brut en France, en Espagne ; 6 % en Allemagne ; 7 % en Italie ; 9 à 10 % aux Etats-Unis, 12 à 13 % au Royaume-Uni, 15 % en Irlande.
Mais que va-t-il se passer si la croissance, en réalité, ne vient pas réduire ces déficits publics très élevés ?
Si les taux d'intérêt à long terme restaient très bas, comme au Japon, les gouvernements pourraient laisser les taux d'endettement publics augmenter ; les paiements d'intérêts sur les dettes publiques resteraient très faibles et ne déséquilibreraient pas les finances publiques. Mais la situation du Japon est très particulière. Elle vient de ce que le Japon est une économie financièrement fermée où les investisseurs domestiques se diversifient très peu en titres étrangers.
Aux Etats-Unis et en Europe, on observe dès le printemps 2009 une remontée des taux d'intérêt à long terme liée en partie aux inquiétudes concernant les niveaux des dettes publiques, en partie au retour des investisseurs vers des actifs à rendements nettement plus élevés que les dettes publiques, comme les actions des pays émergents.
Il n'y a pas de corrélation entre les rendements obligataires aux Etats-Unis et en Europe et les rendements disponibles sur les autres actifs, et ceci empêche le maintien de taux d'intérêt très bas sur les dettes publiques. Il ne sera pas alors possible, pour les gouvernements, de laisser diverger à la hausse les taux d'endettement publics. Quelles sont alors les pistes disponibles ?
La première consiste à réduire les dépenses publiques. Mais celle-ci est très difficile à gérer : beaucoup de dépenses (masse salariale, retraites, santé...) sont très rigides, de plus elle devrait s'opérer dans une situation de taux de chômage très élevé. Si la croissance reste inférieure à la croissance de long terme, en effet, le taux de chômage ne diminue pas. Si les dépenses publiques ne sont pas réduites, il ne subsiste alors que deux pistes : la hausse de la pression fiscale ou la monétisation massive des dettes publiques. Ces deux pistes ont des conséquences potentielles horribles. La hausse de la pression fiscale réduirait la croissance de long terme (potentielle). Qu'il s'agisse d'une taxation des profits, d'une hausse des charges sociales, des impôts directs ou indirects, il y a hausse du chômage structurel (avec moindre investissement, baisse de la demande ou de l'offre de travail, hausse de prix...). On aurait alors après la récession non seulement un retour laborieux vers la croissance potentielle, mais une diminution de la croissance potentielle.
La monétisation des dettes publiques permettrait de maintenir des taux d'intérêt à long terme bas, malgré la hausse continuelle des taux d'endettement publics. Les Banques centrales achèteraient tous les titres publics qui ne trouveraient pas d'acheteurs au taux d'intérêt à long terme qu'elles souhaitent maintenir. Techniquement, cette politique est réalisable : la monétisation des dettes publiques permet aux Banques centrales d'avoir un objectif de taux d'intérêt à long terme. Mais elle peut impliquer une énorme création monétaire, liée à la démultiplication des programmes d'achats d'actifs à long terme déjà mis en place par les Banques centrales.
Puisque les taux de chômage, dans le scénario décrit plus haut, restent durablement élevés, l'excès de création monétaire ne conduit pas à l'inflation, mais il peut conduire à beaucoup d'autres désordres : bulles sur les prix des actifs ou même pire, fuite devant la monnaie (perte de mobilité de la monnaie tellement la quantité de monnaie créée est abondante). La perspective pour les politiques budgétaires est donc inquiétante. Si, comme il est malheureusement probable, la croissance ne devient plus supérieure à la croissance de long terme en l'absence d'une nouvelle hausse des taux d'endettement, si la baisse des dépenses publiques est improbable en situation de chômage très élevé, il n'existe que la perspective de hausse des impôts ou de monétisation massive des dettes publiques.
Par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis