Voici des réactions d'économistes après l'annonce vendredi d'une baisse des prix à la consommation en France de 0,3% au mois de mai:
- Alexander Law (Xerfi):
Cela devait bien finir par arriver : l'inflation est passée en territoire négatif en mai. L'indice des prix à la consommation a ainsi reculé de 0,3% sur un an, redonnant par la même occasion du souffle à un pouvoir d'achat qui en a décidément bien besoin. Il est vrai que la désinflation actuelle est désormais le seul élément qui puisse apporter un peu de tonus à la consommation, alors même que le moral des ménages continue de se situer à proximité de son plancher et que le rythme de destruction d'emplois est historique. Bien entendu, une faible inflation ne peut pas tout faire : malgré la résistance de la consommation, le PIB de la France reculera de près de 3% cette année et le rebond anticipé pour 2010 sera très limité (+0,6%).
On ne pourra s'épargner naturellement les débats sur les risques qu'une déflation s'installe dans l'économie française. Le passé récent montre bien qu'aucun scénario ne mérite d'être totalement écarté tant le cours de l'Histoire a été mouvementé ces derniers temps. Mais, ce que nous pouvons dire aujourd'hui c'est que les chiffres ne trahissent pas de menace déflationniste. Certes, l'inflation globale est négative : cela est simplement dû au repli sur un an des cours des principales matières premières, à commencer par le pétrole. De fait, les prix des produits pétroliers dans l'Hexagone se sont inscrits en baisse de 26,1% en glissement annuel en mai.
Pour sa part, l'inflation sous-jacente (c'est-à-dire celle qui ne comprend pas les éléments traditionnellement volatils ou les prix administrés) reste nichée confortablement à 1,6% : il s'agit là d'une zone souhaitable et visée traditionnellement par une politique monétaire classique. Or, c'est bien ce chiffre sous-jacent qui traduit la structure inflationniste intrinsèque de l'économie française : pour l'heure, le fonctionnement des marchés en France (que ce soit ceux des biens et services, mais aussi du travail) ne génère pas de baisse des prix. Soyons clairs, l'heure est à la récession. Pas encore à la dépression. Forcément, ce risque ne peut pas être écarté partout en Europe : au Royaume-Uni, par exemple, les salaires avaient baissé au premier trimestre, alors même que la Banque d'Angleterre paraît avoir grillé ses dernières cartouches. Ainsi, tout choc exogène supplémentaire pourrait précipiter l'économie britannique dans la déflation.
Il faut également signaler que ce processus désinflationniste s'interrompra certainement à partir de la fin de l'été. En effet, c'est à ce moment là, en 2008, que les cours des matières premières avaient commencé à se replier brutalement. L'effet de base favorable dont nous disposons actuellement va donc s'estomper d'autant plus vite que le prix du pétrole est en train de remonter rapidement (désormais il se situe autour de 70 dollars le baril). Dans ces conditions, après avoir parlé de choc désinflationniste (baisse du rythme d'inflation) voire déflationniste cette année, l'inflation pourrait redevenir un sujet de préoccupation majeure dès l'année prochaine. Ce serait à n'en pas douter une catastrophe : à peine l'économie française sortirait elle de la plus grave récession de son histoire qu'elle serait soumise à la menace d'une brutale rechute de la consommation des ménages.
Accueillons donc ce chiffre comme il doit l'être : positivement. Il s'agit en ce moment d'une des seules bonnes nouvelles que nous ayons à analyser. Le pire, c'est que nous savons que même cela ne va pas durer.
- Frédérique Cerisier (BNP Paribas):
Comme attendu, le taux d'inflation a poursuivi son repli pour devenir négatif au mois de mai. Selon les données nationales publiées par l'INSEE, le taux d'inflation s'est établi à -0,3%, après +0,1% au mois d'avril. Il faut remonter aux années 1950 pour retrouver en France une période où le taux d'inflation était négatif.
D'un mois à l'autre, l'indice d'ensemble des prix à la consommation a augmenté de 0,2%, en grande partie pour des motifs saisonniers. En données corrigées des variations saisonnières, l'indice des prix a diminué de 0,1% m/m en mai, comme cela avait déjà été le cas en avril. Les données publiées par l'INSEE mettent en effet en évidence une faible progression des prix des produits alimentaires en mai (+0,3% m/m), exclusivement dûe à l'augmentation saisonnière des prix des produits frais (+2,3% m/m). Hors produits frais, les prix de l'alimentation sont restés stables le mois dernier. Evaluée sur un an, la progression des prix de l'alimentation est dorénavant ramenée à 0,4%, après un pic à 6,4% en juillet dernier.
Les prix de l'énergie sont en hausse de 0,2% m/m. Pour l'essentiel, cette hausse résulte de l'évolution des prix des produits pétroliers, qui ont poursuivi le rebond entamé en avril (+0,4% m/m après +2,7% en avril). Ces évolutions mensuelles reflètent la progression actuelle des cours du pétrole. Néanmoins, les prix actuels de l'énergie sont bien en deçà de ce qu'ils étaient il y à un an. Le taux d'inflation des produits énergétiques s'est ainsi établi à -17,1% en mai, et c'est cette évolution qui explique le passage en territoire négatif de l'inflation totale. Ces "effets de base" dans le secteur de l'énergie devraient se poursuivre jusqu'au milieu de l'été, continuant de pousser le taux d'inflation à la baisse.
Les prix des produits manufacturés restent stables (+0% m/m, +0,1% g.a.). En revanche, les prix des services se redressent légèrement (+0,2% m/m) et, sur un an, leur progression atteint 2,5%. Dans l'ensemble, l'indice des prix sous-jacent (qui est corrigé des variations saisonnières) augmente de 0,1% m/m en mai, le taux d'inflation sous-jacent se maintenant à 1,6%.
Le taux d'inflation devrait continuer son repli jusqu'au milieu de l'été, continuant de refléter les effets de base dans le secteur énergétique.
- Marc Touati (Global Equities):
C'est donc fait ! Alors que la majorité des économistes annonçait qu'elle ne se produirait jamais dans l'Hexagone, la déflation a fait son apparition, environ un an après le début de la récession.
En effet, pour la première fois de son histoire contemporaine, l'économie française affiche un glissement annuel négatif de ses prix à la consommation, en l'occurrence -0,3% en mai. Et ce n'est pas fini, car, même si les prix augmentent encore de 0,2% sur le mois de juin (c'est-à-dire à un rythme identique que le mois dernier), leur glissement annuel atteindra -0,5%, dans la mesure où les prix avaient augmenté de 0,4% en juin 2008.
Certes, il ne faut pas dramatiser. Tout d'abord, parce que, hors énergie et produits alimentaires, le glissement annuel des prix reste positif à +1,6%. Autrement dit, de la même façon que l'inflation énergétique ne s'est pas traduit par une flambée des prix hors énergie il y a un an, la déflation des matières premières ne se traduit pas par une déflation généralisée.
Ensuite, la baisse des prix peut également apparaître comme un bienfait dans la mesure où elle permet aux ménages de retrouver du pouvoir d'achat à court terme. Et, comme nous le voyons depuis le début 2009, lorsque les prix s'ajustent aux revenus, c'est-à-dire à la baisse, les ménages consomment. Autrement dit, dans la mesure où les prix ont trop augmenté ces dernières années par rapport aux revenus des Français, leur repli actuel apparaît tout à fait justifié.
Pour autant, il ne faut pas s'emballer car la déflation n'est favorable qu'à court terme et seulement si elle est temporaire. A l'inverse, si la déflation s'installe, les entreprises subissent une baisse durable de leur chiffre d'affaires, donc de leurs marges, voire enregistrent des pertes, ce qui les oblige à réduire leurs coûts et notamment leur masse salariale. Dès lors, le chômage augmente, les salaires reculent, la consommation se replie, les entreprises ont encore plus de difficultés financières, d'où une nouvelle vague de licenciements et le cercle pernicieux continue.
Ce risque confirme que la politique monétaire et budgétaire eurolandaise et notamment française est complètement décalée par rapport à la réalité, c'est-à-dire insuffisamment accommodante. Or, le triste exemple du Japon des années 90 nous rappelle que lorsque la déflation s'installe et que les autorités monétaires et budgétaires tardent à réagir, elle peut durer quinze ans.
Quant à l'argument qui consisterait à dire que les prix des matières premières vont augmenter, portant l'inflation à la hausse dans les prochains trimestres, il est complètement fallacieux. D'abord, parce que rien ne permet de dire que la hausse des prix des matières premières sera plus forte cette année que l'an passé. Bien au contraire. En outre, si les prix des matières premières augmentent trop, le peu de reprise qui se dessine pour la fin 2009 partira en fumée avant même d'avoir existé.
Il faut donc arrêter de spéculer sur le retour improbable de l'hyper-inflation, mais au contraire réagir au plus vite face à la déflation qui n'est donc plus une menace mais une réalité.
Et quand bien même l'inflation redémarrerait vers les 2,5% en 2010 (comme nous l'anticipons), il ne faudra pas s'en trouvé peiné. Car, mieux vaut une inflation à 2% voire 3%, avec une croissance de 3%, qu'une déflation à 0,3% et une baisse du PIB de 3%.
Malheureusement, depuis 2002, tant en France que dans la zone euro, que l'inflation soit faible ou élevée, la donne ne change pas : la croissance reste molle, voire "négative". Jusqu'à quand allons-nous sacrifier la croissance sur l'autel d'une inflation que nous n'arrivons d'ailleurs pas à contrôler ?