Le gouvernement allemand a adopté mercredi un projet de loi permettant aux banques de geler quelque 200 milliards d'euros d'actifs toxiques, mais en évitant, à quelques mois des élections, de faire payer le contribuable.
"Un gros congélateur dans lequel chaque banque aurait un tiroir. Leurs titres financiers à problèmes y sont stockés et gelés. Après la crise nous verrons si la marchandise est encore vendable": voilà comment le président de la fédération des banques privées allemandes, Andreas Schmitz, décrivait récemment le montage imaginé par Berlin.
"Nous achetons du temps", a déclaré mercredi Thomas de Maizières, le chef de la chancellerie allemande, l'équivalent du directeur de cabinet de la chancelière Angela Merkel, lors d'une conférence de presse.
Au total, vingt années: pendant cette durée, selon le projet de loi, les banques allemandes pourront geler leurs actifs "toxiques".
Il s'agit de titres financiers complexes, le plus souvent basés sur des crédits immobiliers américains pourris ("subprimes"), qui ont perdu leur valeur avec l'éclatement de la crise.
La nouvelle loi doit permettre aux banques de sortir de leurs bilans ces actifs, dont le montant total a été évalué mercredi à "180, 190 milliards d'euros" par le ministre des Finances Peer Steinbrück.
Elles seraient dispensées d'abaisser chaque trimestre leur valeur comptable, ce qui coûte très cher et les empêche de délivrer les crédits dont manque cruellement l'économie allemande.
Ces actifs seront "mis au congélateur" dans des sociétés de défaisance ad hoc, ou "bad banks", à hauteur de 90% de leur valeur comptable actuelle. L'Etat allemand interviendra pour les garantir, contre rémunération.
Le gouvernement allemand calculera aussi la valeur "fondamentale" des titres, bien inférieure à celle annoncée dans les comptes, à charge pour les banques de compenser cette différence graduellement.
Rendez-vous est pris dans vingt ans pour faire les comptes. Si les titres pris en charge affichent des pertes encore plus lourdes que prévu, il sera interdit aux banques de verser des dividendes tant qu'elles ne les auront pas compensées.
Seul risque en théorie pour le contribuable allemand: la faillite d'une banque, qui laisserait les titres dégradés sur les bras de l'Etat.
Au final, le montage allemand apparaît comme une solution unique, entre la "bad bank" centralisée et 100% étatique, choisie par l'Irlande, et la solution américaine d'un "partenariat public-privé" pour racheter les titres dévalués.
M. Steinbrück a assuré mercredi que l'enveloppe de 500 milliards d'euros déjà décidée à l'automne dernier par Berlin pour aider le secteur bancaire "était suffisante" et qu'aucune rallonge ne serait nécessaire.
Il a aussi martelé que les banques restaient "responsables" de leurs actifs empoisonnés.
Alors qu'approchent les élections législatives de septembre, le gouvernement de grande coalition allemand (conservateurs et sociaux-démocrates) a voulu parer au plus pressé sans faire payer le contribuable.
Il laisse donc quelques experts sur leur faim.
"C'est un mauvais compromis", assène Christoph Schalast, professeur au Centre d'économie financière de Francfort. "D'un côté on veut relancer le marché du crédit mais de l'autre faire en sorte que le contribuable ne débourse presque rien. Ces deux objectifs me paraissent difficilement conciliables."
Son modèle: la gestion par les Etats-Unis à la fin des années 1980 de l'effondrement des caisses d'épargne. Le gouvernement avait alors pris entièrement la responsabilité de liquider les actifs à problèmes.
Mais cette opération avait coûté plus d'une centaine de milliards de dollars au contribuable américain.