Voici des réactions d'économistes après l'annonce mercredi d'une hausse des prix à la consommation en France de 0,2% en avril :
- Nicolas Bouzou (Asteres):
Très bonne nouvelle. L'inflation est au plus bas depuis 1957. En effet, sur un an, l'indice des prix à la consommation est resté quasiment stable (+0,1%). La baisse des prix est particulièrement forte dans l'énergie (-13,8%) qui bénéficie encore du recul des cours de matières premières observé fin 2008 et début 2009. Ainsi, en avril, les prix des produits pétroliers ont perdu 22,4%. Les prix des produits frais refluent quant à eux de 0,7%. Enfin, le prix des produits liés à la santé diminue de 2,2%. Ainsi, c'est tout de même près de 15% de la consommation totale des ménages qui voit ses prix baisser. A l'inverse, à l'exception des loyers, on ne note quasiment plus de poche d'inflation en France.
Cette stabilisation des prix tient pour beaucoup à un effet de base. Il faut en effet se souvenir que c'est à partir de mars et avril 2008 que l'inflation avait véritablement commencé à se tendre en France. Nous bénéficions aujourd'hui d'une sorte de contrecoup.
Le point le plus intéressant réside dans le fait que, même si les prix se sont stabilisés, il n'existe pas de signes perceptibles de déflation. En effet, à 1,6%, l'inflation sousjacente (hors pétrole et alimentation) reste stable par rapport au mois de mars. Depuis le début de la crise, elle a perdu environ 0,5 points, baisse qui reste limitée. On voit donc bien que l'ampleur des politiques économiques menées depuis septembre 2008 (politique monétaire agressive, y compris dans la zone euro, et politiques budgétaires expansionnistes) ont permis d'éviter la déflation.
Cette stabilisation de l'inflation arrive à point nommé, dans la mesure où plusieurs indicateurs conjoncturels (cours des matières premières, fret maritime, production industrielle en Asie, marchés actions) montrent que l'activité économique, au niveau mondial, s'est stabilisée. L'absence d'inflation est les gains de pouvoir d'achat qui en découlent pourraient aider à renforcer cette tendance.
- Marc Touati (Global Equities):
Avant la publication vendredi 15 mai de la forte baisse du PIB français du premier trimestre, les prix à la consommation d'avril ont déjà annoncé la couleur : l'économie hexagonale est en train de vivre des moments historiques. Non seulement parce que sa récession est la plus grave depuis l'après-guerre, mais aussi parce que son inflation n'a jamais été aussi faible. Ainsi, en avril 2009, le glissement annuel des prix à la consommation a atteint 0,1%, du jamais vu depuis que la statistique existe (c'est-à-dire 1973).
Bien entendu, ce chiffre ne suffit pas pour justifier l'entrée de la France dans une spirale de déflation. D'ailleurs, le glissement annuel de l'indice des prix sous-jacent, c'est-à-dire hors énergie et produits alimentaires, est encore de 1,6% en avril. De même, les prix dans les services continuent d'augmenter significativement : +0,3% en avril et +2,4% sur un an. Et ce notamment sous l'impulsion des prix des loyers qui flambent encore de 3% sur un an.
Dans ce cadre, il est tout aussi instructif de noter que, hors loyers et tabac, les prix affichent déjà un glissement annuel nul.
En outre et surtout, dans la mesure où les prix à la consommation ont augmenté de 0,5% et 0,4% respectivement en mai et juin 2008, il est quasiment assuré que dès le mois de mai 2009, le glissement annuel des prix passera en territoire négatif et n'en sortira pas au moins jusqu'en juin.
A l'heure où certains agitent déjà le chiffon rouge de l'hyper-inflation, il serait donc peut-être bon de rappeler que le véritable fléau qui menace aujourd'hui la France et l'ensemble des pays de la zone euro est bien la déflation. Certes, après la flambée excessive des dernières années, notamment par rapport aux revenus, il est plutôt salutaire que les prix baissent, en particulier pour redonner un peu de pouvoir d'achat aux ménages qui en ont tant besoin. Néanmoins, si la déflation s'installe, elle risque de durer bien longtemps et d'entraîner une spirale déflation-récession-chômage, à l'instar de ce qui s'observe par exemple au Japon depuis plus de quinze ans.
Autrement dit, au regard de ce risque de déflation durable, le niveau du taux refi demeure encore trop élevé et l'appréciation de l'euro/dollar largement disproportionnée, voire dangereuse.
- Alexander Law (Xerfi):
C'est suffisamment rare pour être souligné : les bonnes nouvelles existent encore pour l'économie française. Et c'est de nouveau du front de l'inflation que nous vient l'information : sur un an, en avril, les prix à la consommation n'ont progressé que d'un petit 0,1%. Par rapport à mars 2009, l'indice recule même de 0,1% en données corrigées des variations saisonnières (+0,2% en chiffres bruts). Disons-le haut et fort : la modération des tarifs est une aubaine car il s'agit là du dernier rempart contre un effondrement du pouvoir d'achat et, par suite, d'un écroulement de la consommation. Bien entendu, même si les dépenses des ménages ont résisté au cours des trois premiers mois de l'année, et ce, en partie, grâce au soutien d'une inflation en berne, cela aura été insuffisant pour empêcher une très nette baisse du PIB de la France au premier trimestre de 2009. Il s'agit donc d'un facteur de limitation des dégâts, mais on peut être sûr que lorsque la reprise se profilera (on l'espère pour la fin de l'année), elle ne devra sa pérennité qu'aux seules dépenses des ménages, tant l'industrie est aujourd'hui vulnérable (voir à ce sujet les résultats catastrophiques de l'enquête sur les investissements en valeur).
Il est en revanche un débat qu'il convient de tuer dans l'oeuf : non, l'économie française n'est pas aux portes de la déflation. Certes, dès le mois prochain, la variation sur un an des prix à la consommation pourrait passer en territoire négatif. Mais cela serait uniquement dû au repli par rapport à l'année dernière des cours des principales matières premières industrielles et agricoles et en premier lieu le pétrole. Ainsi, en avril, les prix aux particuliers des produits pétroliers ont baissé de 22,4%. La stabilisation actuelle de l'inflation n'est donc pas liée, en tout cas pour l'instant, aux caractéristiques intrinsèques de l'économie française. De fait, l'inflation sous-jacente reste nichée dans sa zone de confort à 1,6%, ce qui est conforme avec une consommation qui plie mais ne rompt pas. Ce qui serait plus inquiétant serait une tension baissière sur les salaires : pour l'heure, à l'inverse du Royaume-Uni (où hier on nous annonçait un recul des revenus de 0,4% en glissement annuel au premier trimestre), on ne la voit pas. Et c'est tant mieux.
Il faut donc profiter de cette situation tant qu'elle va durer. D'une part, les effets de base, qui jouent aujourd'hui favorablement, vont commencer à s'estomper à partir de la fin de l'été. D'autre part, les cours des matières premières, par la force des choses finiront bien un jour par remonter, ce qui amputera mécaniquement le pouvoir d'achat. Il faut donc espérer que le regain du chômage aura cessé au moment où cela se produira.
- Cyril Blesson (Seeds Finance):
L'inflation des prix à la consommation hexagonale poursuit son reflux et s'établit à +0.1% (Avril 2009 comparé à Avril 2008), soit un reflux massif depuis les 3.6% d'inflation de Juillet 2008. Cette baisse s'explique principalement par le reflux des prix du baril exprimés en euros, en chute de 46% entre Avril 2009 et Avril 2008 : ainsi la composante énergie de l'indice des prix qui pèse pour 7.2% de l'indice des prix est en baisse de 13.8% sur 1 an, contre une hausse de 18.5% en Juillet 2008. La faiblesse très marquée de l'évolution des prix des produits manufacturés (+0.1% a/a) est un facteur désinflationniste important, probablement amené lui à perdurer.
Ce mouvement désinflationniste devrait se poursuivre, avec un passage probable de la variation des prix à la consommation en territoires légèrement négatifs dans les mois qui viennent. Cela n'est pas encore de la déflation (baisse autoentretenue des prix) qui est processus macro-économique beaucoup plus complexe et dangereux qu'une baisse des prix due au reflux du prix des matières premières énergétiques !
Cette désinflation est un facteur de soutien à la consommation car elle permet au pouvoir d'achat des ménages de résister, alors que les autres déterminants de la dépense des ménages (revenus d'activité, production de crédit, montée du chômage, confiance, épargne de précaution) sont mal orientés. La variation des prix pourrait revenir en territoires légèrement positifs à partir de l'automne, car vers Octobre 2009 la comparaison annuelle des prix du baril en euros pourrait cesser de baisser (sauf si le taux de change de l'euro s'envole d'ici là, ce qui est un risque non négligeable, ou si le prix du baril d'or noir rechute).
Le taux du livret A qui est indexé sur la variation des prix et les taux d'intérêt courts de marchés (eonia et euribor qui ont fortement baissé en réponse à l'assouplissement monétaire de la BCE), devrait à nouveau baisser au cours de l'été. Nous tablons sur un taux du livret A à 1.0% en Août 2009 (la règle justifierait moins) contre 1.75% actuellement, même sil est difficile de prévoir l'ampleur du coup de pouce éventuel des autorités dans le climat politique actuel.