Voici des réactions d'économistes après l'annonce mercredi d'une nouvelle baisse des prix à la consommation en décembre (-0,2%), soit une hausse de 1,0% par rapport à décembre 2007.
- Nicolas BOUZOU (Asterès):
Le mouvement de désinflation est spectaculaire. En quelques mois, l'inflation annuelle est passée de 3,6% (en juillet-août) à 1%. Au mois de décembre 2008, les prix ont même perdu 0,2% par rapport à novembre. C'est d'ailleurs l'un des aspects les plus singuliers de cette crise: les enchaînements sont sommes toutes assez classiques. En revanche, les mouvements de production et de prix sont à la fois très amples et violents.
C'est bien entendu le très fort freinage de la croissance mondiale et donc de la demande globale qui expliquent le ralentissement des prix. Prix des matières premières d'abord. Le cours du baril de pétrole a perdu plus de 70% depuis le mois d'août. Et, en réalité, ce mouvement se retrouve sur la plupart des marchés de matières premières industrielles et alimentaires.
Conséquence : les prix à la consommation s'assagissent. En décembre, les prix des produits pétroliers ont perdu près de 15% sur 1 an, et les prix des produits frais ont reflué de 1,5%.
Stabilité des prix de détail ensuite. En période de récession, les détaillants qui veulent conserver leurs volumes de ventes constants n'ont d'autre choix que de contenir leurs prix. Ces stratégies commencent à se retrouver dans les indices macroéconomiques. L'inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) ne progresse plus et marque même légèrement le pas.
Ce mouvement de désinflation porte en lui un risque, celui de la déflation, c'est-à-dire d'une course de vitesse vers le bas entre les prix, les profits, l'investissement, la consommation et le PIB. Nous n'en sommes pas encore là.
Les banques centrales font tout pour "reflater" l'économie, en créant de la monnaie pour faire remonter les prix. A 1,8%, l'inflation sous-jacente ne décroche pas. C'est néanmoins un point à surveiller. Même si la probabilité de déflation reste faible (aux alentours de 10% pour les Etats-Unis et l'Europe), par rapport au risque qu'une telle situation représente, elle demeure trop forte.
En moyenne annuelle, les prix à la consommation auront augmenté de 2,8% en 2008, soit une augmentation du pouvoir d'achat de 1%. Nous attendons pour 2009 une inflation moyenne de 1%. Toutefois, le surcroît de pouvoir d'achat qui en découlerait serait négativement compensé par la hausse du taux de chômage. Ainsi, en 2009, le pouvoir d'achat devrait seulement augmenter de 0,5%, en dépit de la faiblesse de l'inflation.
- Marc TOUATI (Global Equities):
De mois en mois, la France se rapproche dangereusement de la déflation. En effet, pour le quatrième mois consécutif, les prix à la consommation ont reculé en décembre (- 0,2%). Pour retrouver une augmentation mensuelle, il faut même remonter à juin 2008. Depuis le mois de juin, la baisse atteint 1,07 %.
Dans ce cadre, le glissement annuel des prix à la consommation est passé de 3,6% à juillet à 1,0 % en décembre 2008.
Mais ce n'est pas tout. Car, avec les soldes et la nouvelle baisse des prix énergétiques, les prix devraient encore reculer en janvier et rester stables en février. Dès lors, même si un rebond technique s'observe au printemps, le glissement annuel des prix sera bien négatif à partir d'avril prochain et ce jusqu'à l'été.
Autrement dit, la France sera bien en déflation.
Or, bien plus grave que l'inflation, la déflation est le pire des maux économiques. En effet, elle concrétise une situation d'excès d'offre par rapport à la demande. Pour que l'offre s'ajuste à la demande, il faut donc qu'elle baisse, ce qui se traduit par une baisse de la production, des faillites et in fine des licenciements, donc une nouvelle baisse de la demande. D'où une poursuite de la déflation...
Le seul moyen de s'en sortir réside alors dans une politique de soutien à la demande (consommation et investissement), en particulier via une forte baisse des taux directeurs de la banque centrale et une relance budgétaire efficace, c'est-à-dire qui ne se contente pas de distribuer des subsides publiques pour colmater les brèches.
En d'autres termes, la France et la zone euro ont le choix: soit elles continuent de refuser un plan de relance global, concerté et efficace et elles sortiront de la déflation à partir de l'automne 2009; soit elles restent frileuses et engagent des dépenses publiques inefficaces et elles s'enfonceront dans une déflation à la japonaise, c'est-à-dire durable et destructrice.
Plus globalement, l'approche de la déflation dans l'Hexagone, en Europe et dans l'ensemble du monde occidental nous rappelle qu'il vaut mieux accepter une inflation temporaire qu'une déflation économiquement et socialement dévastatrice.
- Frédérique CERISIER (BNP Paribas):
L'inflation a enregistré un nouveau repli au mois de décembre. Selon les données nationales publiées par l'Insee, le taux d'inflation s'est établi à 1,0% fin 2008, après 1,6% au mois de novembre. D'un mois à l'autre, la baisse de l'indice d'ensemble des prix à la consommation est de -0,2% (-0,3% m/m en données corrigées des variations saisonnières).
Comme au cours du mois précédent, la baisse du taux d'inflation en décembre reflète essentiellement la chute actuelle des prix de l'énergie: leur baisse a été de -5,6% m/m fin 2008. Cumulée sur les trois derniers mois de l'année dernier dernière la baisse des prix de l'énergie atteint 14,1% (22,2% pour les seuls produits pétroliers).
S'agissant des autres prix de l'indice d'ensemble, l'Insee note une stabilité (d'un mois à l'autre) des prix de l'alimentation. Hors produits frais, les prix alimentaires continuent toutefois de progresser (+0,2% m/m), et, évaluée sur un an, leur progression à tendance à ralentir (à +3,9% g.a en décembre après un pic à 6,0% en juillet 2008), mais elle reste une des plus importantes des principaux regroupements de l'indice des prix.
Les prix des produits manufacturés sont également stabilisés, tandis que l'augmentation des prix dans les services (+0,4% m/m et +2,3% sur un an) reflète notamment des augmentations saisonnières dans les services touristiques, récréatifs et de transports.
La modération des prix du pétrole va continuer à peser sur l'évolution des prix au premier semestre de 2009. S'y ajouteront des effets de base importants dans ce même secteur (au cours du mois de juillet 2008, les prix du pétrole avaient atteint un pic à 147 dollars par baril), si bien que l'inflation totale devrait être négative autour de la mi-2009, avant de se redresser au cours de la deuxième partie de l'année.
- Alexander LAW (Xerfi):
C'est la bonne nouvelle de la fin d'année 2008. L'inflation a amorcé un ralentissement décisif en s'établissant à 1% seulement en glissement annuel. Sur un mois, les tarifs ont reculé de 0,3% en données corrigées des variations saisonnières.
Ce chiffre mensuel contraste naturellement avec la donnée de l'inflation en moyenne annuelle en 2008: les prix à la consommation ont augmenté de 2,8% sur l'ensemble de l'année, ce qui n'a laissé la place qu'à une augmentation anémique du pouvoir d'achat (d'ailleurs, rapporté au nombre de ménages celui-ci a, au mieux, stagné).
Justement, après avoir souffert de la flambée des prix jusqu'à l'été, le pouvoir d'achat des ménages est aujourd'hui sous la double menace de la prudence des entreprises en termes de revalorisations salariales et des destructions d'emplois. C'est donc bien l'accalmie sur le front de l'inflation qui va représenter la seule bouffée d'oxygène possible pour la consommation.
Or, pour surmonter la crise, l'économie française a impérativement besoin que les ménages ne lâchent pas prise au niveau de leurs dépenses.
Forcément, eu égard à la rapidité de la décrue de l'inflation, les inquiétudes sur la menace d'une déflation seront ravivées. D'ailleurs, il est tout à fait possible que l'évolution des prix à la consommation atteigne prochainement zéro, voire soit négative pendant quelques mois. Les dangers de la déflation sont bien connus:
- forte pression baissière sur les salaires;
- phénomène de reports de consommation;
- inefficacité totale de la politique monétaire (c'est la fameuse "trappe à
liquidités"). Même si les taux nominaux sont ramenés à zéro, les taux réels demeurent positifs à cause de la baisse des prix.
Pour autant, nous ne pensons pas que la déflation soit un risque à court terme pour l'économie française. Car, à y regarder de plus près, l'inflation sous-jacente (c'est-à-dire celle qui est débarrassée des éléments les plus volatils comme les denrées alimentaires ou les produits énergétiques) demeure dans une zone tout à fait confortable à +1,8%.
L'accalmie actuelle de l'inflation n'est due qu'à un phénomène exogène et volatil par nature: la correction baissière des prix énergétiques et des produits pétroliers. Ce ne sont donc pas les caractéristiques intrinsèques à l'économie française qui font baisser les prix. Les tarifs des services continuent de grimper à un rythme raisonnable (+2,3%) et même ceux des produits manufacturés augmentent légèrement (+0,1%).
La publication de ce jour, qui aura un écho dans les autres pays de la zone euro, les mêmes causes provoquant les mêmes effets, n'est pas sans conséquences sur la politique monétaire que pourra adopter la BCE. L'institut de Francfort n'a aucune raison de ne pas poursuivre son assouplissement monétaire d'au moins un demi-point (50 points de base), ce qui amènerait son taux directeur à 2%. Cela signifierait que Jean-Claude Trichet conserverait encore quelques munitions sous le coude pour baisser les taux à nouveau en cas de dégradation encore plus forte de la conjoncture.
Mais il ne faut pas attendre de miracles non plus d'une politique monétaire, aussi appropriée soit-elle. D'une part, le canal de transmission à l'économie réelle est assez long: autour de 6 à 9 mois. D'autre part, les banques demeurent frileuses au moment de prêter et les entreprises logiquement craintives (eu égard aux anticipations de demande) au moment d'investir.
Dans ces conditions, la croissance du premier semestre 2009 dans la zone euro demeure fortement compromise.
Le mouvement de reflux de l'inflation est donc tout aussi brutal qu'avait été sa flambée sous l'effet des soubresauts des cours des principales matières premières. Effets de base obligent, la variation sur un an des prix restera très faible pendant les trois premiers trimestres de l'année 2009. C'est une bonne nouvelle pour un pouvoir d'achat qui souffre terriblement de la dégradation rapide et massive du marché du travail.