Accusé jeudi par la plus haute juridiction belge de pressions sur la justice dans le dossier de la banque Fortis, le Premier ministre belge Yves Leterme semblait pouvoir éviter la démission grâce à la dénonciation d'irrégularités commises par un magistrat.
Jeudi après-midi, le Premier ministre chrétien-démocrate flamand, au pouvoir depuis neuf mois à peine, avait pourtant paru sur un siège éjectable: le président de la cour de cassation, Ghislain Londers, avait en effet accusé son entourage d'avoir "tout mis en oeuvre" pour éviter que la justice ne remette en cause le démantèlement de la banque belgo-néerlandaise.
Ces accusations semblaient d'autant plus accablantes que la veille le Premier ministre avait nié toute ingérence de l'exécutif sur le pouvoir judiciaire dans l'affaire du groupe financier belgo-néerlandais Fortis, parlant seulement de "contacts".
Mais vers minuit, une réunion de crise de huit heures du gouvernement s'est terminée sans qu'aucune démission n'ait été annoncée.
La vice-Premier ministre socialiste Laurette Onkelynx est sortie en expliquant qu'un rapport du procureur général de la cour d'appel de Bruxelles qui leur avait été remis pendant la réunion ne parlait "absolument pas d'une pression politique" mais "de dysfonctionnement au sein de la cour d'appel".
Le ministre des Finances libéral Didier Reynders, très impliqué dans le dossier Fortis, a assuré lui aussi qu'il n'y avait "pas d'élément aujourd'hui d'une quelconque faute au niveau du gouvernement".
Selon ce rapport, l'arrêt du 12 décembre aurait été rendu au mépris de certaines règles de procédure, en ne respectant pas des demandes de réouverture des débats déposées par certains avocats.
Le gouvernement espère donc que les appels à la démission de M. Leterme vont s'atténuer. D'autant qu'à six mois des élections régionales, et après une profonde crise politique et communautaire en 2007, aucun de ses membres ne veut porter le chapeau de ce que certains médias belges surnomment le "Fortisgate".
Première banque privée de Belgique, fierté nationale et symbole de solidité financière, Fortis a été parmi les premiers établissements européens à faire les frais de la crise financière.
Pour éviter la faillite, Yves Leterme et Didier Reynders ont d'abord nationalisé ses activités bancaires belges avant de se mettre d'accord pour en rétrocéder 75% au géant français BNP Paribas.
Ces décisions ont été vilipendées par les petits actionnaires, qui ont vu la valeur de leurs actions s'effondrer et ont intenté une action en justice pour se plaindre de ne pas avoir été consultés.
Ils ont d'abord été déboutés par le tribunal de commerce, jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel du 12 décembre qui indiquait qu'ils auraient dû être consultés.
Cet arrêt a conduit notamment au gel de la vente à BNP Paribas. Si cette opération était annulée, la survie de Fortis Belgique pourrait être à nouveau menacée.
Le gouvernement a depuis indiqué qu'il allait déposer un recours, et le rapport du procureur général de jeudi soir devrait augmenter ses chances d'obtenir un réexamen du dossier.
C'est dans le cadre de l'action des petits actionnaires que l'entourage d'Yves Leterme est accusé d'avoir fait pression sur des magistrats, en première instance, puis en appel via le mari d'une juge de la cour d'appel.
En première instance, le substitut du procureur aurait selon la presse reçu un appel d'un collaborateur de M. Leterme qui se serait exclamé: "On est très préoccupé par votre avis. Etes-vous réellement conscient de votre responsabilité?"
En attendant les détails promis par le président de la cour de cassation sur ces pressions supposées, Mme Onkelynx a promis que le gouvernement serait "à la disposition" d'une commission d'enquête parlementaire sur un éventuel "non-respect de la séparation des pouvoirs qui serait tout à fait inacceptable".