Voici des réactions d'économistes après l'annonce jeudi d'une nette baisse des prix à la consommation en novembre (-0,5%), soit une hausse de 1,6% sur un an.
- Nicolas BOUZOU (Asterès):
Le mouvement de désinflation est très brutal. En effet, le glissement annuel des prix à la consommation ne s'élève plus qu'à 1,6% en novembre, un plus bas depuis septembre 2007. Sur un seul mois, les prix à la consommation perdent 0,5%, ce qui, là encore, est très fort.
Sur un an, ce recul est directement relié aux évolutions des cours de matières premières. La chute spectaculaire des commodités énergétiques et agricoles entamée depuis le milieu de l'été, et due au très fort freinage de l'économie mondiale, se traduit déjà par des baisses de prix de détail.
Ainsi, en novembre, les produits pétroliers ont perdu 5,4% en glissement annuel, et les produits énergétiques 1%. Les prix des produits alimentaires frais se sont contractés de 1,9%.
A priori, cette désinflation serait plutôt favorable à l'économie. L'idée est la suivante: la désinflation augmente mécaniquement le pouvoir d'achat, ce qui tire vers le haut la consommation en volume. On aurait envie de croire à cet argument. Il est malheureusement erroné.
Premièrement, la baisse de l'inflation est, du point de vue macroéconomique, complètement compensée par la hausse du chômage. Il n'y a donc, pour l'heure, pas d'amélioration décelable du pouvoir d'achat des ménages.
Deuxièmement, cette baisse de l'inflation intervient en fin d'année, à un moment où les rémunérations de salariés sont révisées. Or, moins d'inflation, c'est moins d'augmentation des salaires nominaux (surtout en période de faible activité), et donc une évolution neutre du pouvoir d'achat.
Enfin, en période de récession, les surcroîts de pouvoir d'achat sont épargnés, et n'ont donc pas d'action rapide sur la croissance.
Surtout, ce mouvement de désinflation porte en lui un risque, celui de la déflation, c'est-à-dire d'une course de vitesse vers le bas entre les prix, les profits, l'investissement, la consommation et le PIB. Nous n'en sommes pas encore là. A 1,9%, l'inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) ne décroche pas.
D'ailleurs, les banques centrales font tout pour "reflater" l'économie, en créant de la monnaie pour faire remonter les prix. C'est néanmoins un point à surveiller, dans la mesure où une récession - déflation ne dure pas 2 ans mais 10 ans. C'est pourquoi ce fort mouvement de désinflation, s'il n'est pas forcément annonciateur du pire, n'est pas réjouissant.
- Marc TOUATI (Global Equities):
Dire qu'il y a encore quelques mois, de très nombreuses têtes bien pensantes annonçaient le retour de la forte inflation un peu partout dans le monde, y compris en France... Loin de cette prévision fantaisiste, les prix à la consommation ne cessent actuellement de reculer. A tel point que certains, souvent les mêmes qui annonçaient l'avènement de l'hyper-inflation, parlent désormais de retour de la déflation. Autrement dit, les prévisions des économistes et autres devins sont en train de devenir presque aussi volatiles que les marchés.
Dans ce flou artistique, il est donc important de faire le point sur l'évolution passée et à venir des prix à la consommation et sur la probabilité d'un retour de la déflation, c'est-à-dire de la baisse annuelle du niveau général des prix.
Tout d'abord, il faut souligner que la baisse de 0,5% des prix à la consommation dans l'Hexagone en novembre s'explique principalement par le fort repli des biens énergétiques (- 5,5% dont - 8,8% pour les seuls produits pétroliers) et alimentaires (- 0,23% dont - 2,8% pour les produits frais). Ainsi, hors énergie et alimentaires, les prix continuent d'augmenter de 0,1 %.
Cet écart de variation rejaillit bien entendu sur les évolutions annuelles. Ainsi, le glissement annuel des prix à la consommation est passé de 3,6% en juillet dernier à 1,6% aujourd'hui. Bien différemment, celui de l'indice sous jacent est resté quasiment stable depuis l'été dernier, autour des 2% et encore aujourd'hui à 1,9%. Autrement dit, de la même façon qu'il n'y a pas ou peu eu d'effets de second tour (c'est-à-dire de répercussion des prix énergétiques sur les autres prix) à la hausse, il y en a également très peu à la baisse.
Pour autant, il faut d'ores et déjà préparer les opinions publiques : dans quelques mois, le glissement annuel des prix à la consommation devrait avoisiner les 0%. Et ce par la simple action des effets de base. En effet, de l'automne 2007 à l'été 2008, les prix énergétiques n'ont fait que flamber augmentant mécaniquement (certes dans une moindre mesure) les prix à la consommation. Dès lors, à présent que les prix énergétiques reculent et même s'ils se stabilisent dans les prochains moins, les glissements annuels se réduiront mécaniquement.
Ainsi, en faisant l'hypothèse optimiste que les prix à la consommation augmenteront de 0,1% par mois jusqu'en juin prochain, le glissement annuel de ces derniers atteindre 0,8% dès le mois de mars et un plus bas de - 0,1% en juin. La déflation sera donc actée dans les faits. Fort heureusement, par la suite, l'effet de base se retournera et les glissements annuels repartiront à la hausse, terminant l'année 2009 vers les 1,5%. Toujours est-il qu'après avoir atteint 2,8% en 2008, l'inflation annuelle moyenne de l'Hexagone atteindra 0,8% en 2009.
Or, comme la révision à la baisse des chiffres de l'emploi du troisième trimestre vient de le confirmer (- 0,3% contre - 0,1% en première estimation), le revers de la médaille d'une faible inflation et a fortiori d'une déflation réside dans la baisse de l'offre, c'est-à-dire dans le recul de la production, les faillites d'entreprises et les destructions d'emplois.
Comme nous n'avons cessé de le crier pendant des mois (malheureusement en vain), le vrai risque qui menaçait la France et la zone euro depuis plusieurs trimestres n'a jamais été la forte inflation mais la faiblesse du PIB et de l'emploi, qui, doit-on le rappeler, reculent depuis le printemps dernier. Et l'heure de payer la facture a désormais sonné...
- Frédérique CERISIER (BNP Paribas):
L'inflation a fortement chuté au mois de novembre. Selon les données nationales publiées par l'Insee, le taux d'inflation s'est établi à 1,6%, contre 2,7% au mois d'octobre. Ce repli était largement attendu, dans la mesure où la croissance annuelle des prix a connu, à la même période, un ralentissement d'une ampleur similaire dans la plupart des pays de la zone euro (pour s'établir, selon Eurostat, à 2,1% en novembre après 3,2% en octobre dans l'ensemble de la zone).
En effet, la baisse du taux d'inflation ce mois-ci refète à la fois la baisse actuelle des prix de l'énergie (-5,5% m/m), et des effets de base favorables.
Liés à la forte poussée des prix du pétrole au cours de l'hiver 2007, ces effets de base, qui ont contribué à la baisse du taux d'inflation depuis plusieurs mois, étaient particulièrement importants en novembre, ce qui explique l'ampleur de la baisse observée aujourd'hui. Ils seront beaucoup moins importants dans les prochains mois. La modération des prix du pétrole continuera à peser sur l'évolution des prix à l'avenir.
Au cours des premiers mois de 2009, la contraction de l'activité et la faiblesse des perspectives de croissance commenceront à peser plus nettement sur l'évolution des prix dans leur ensemble. L'indice d'inflation sous jacente a enregistré un premier repli ce mois-ci: il s'est établi à 1,9% en novembre, après 2,1% en octobre. Dans l'ensemble, l'inflation pourrait s'établir autour de 0,8%, en moyenne, l'an prochain, après 2,8% en 2008.
- Alexander LAW (Xerfi):
Le rayon de soleil de la baisse de l'inflation est obscurci par la dégradation massive du marché du travail. En effet, alors que nous apprenons que l'inflation est revenue à 1,6% seulement en novembre (soit 1,1 point de moins que le mois précédent), ce qui est de bon aloi pour le pouvoir d'achat, nous ne pouvons que constater la multiplication des destructions de postes dans l'Hexagone.
Ainsi, au troisième trimestre 2008, 36.600 emplois nets ont été détruits en France, dont 47.000 dans le seul secteur marchand (rappelons que la première estimation n'était que de 10.800).
Certes, 10.500 nouveaux postes ont été créés dans les secteurs non marchands, mais c'est bien la conjoncture de la sphère marchande qui illustre le mieux la santé de l'économie réelle. Or, de ce point de vue là, il s'agit des pires chiffres depuis 1993.
Il faut en tirer toutes les conclusions : quoiqu'en disent les statistiques du PIB (et encore, celles-ci peuvent être révisées à la baisse), la France est entrée dans une récession dont elle ne sortira pas au quatrième trimestre de 2008. Pour notre part, nous estimons que la poursuite de la modération des prix devrait accompagner un timide rebond des dépenses des ménages à compter de l'été 2009, ce qui, à son tour, devrait redonner un petit peu de tonus à une croissance souffreteuse.
Bien entendu, l'hémorragie des emplois se poursuit dans l'industrie (-15.200 en T3): ce n'est pas une nouveauté. Même quand la conjoncture était plus souriante, la France poursuivait sa désindustrialisation. La baisse dans l'intérim (-26.000) n'est pas non plus une surprise: en ces temps incertains, les chefs d'entreprise ajustent en premier lieu leur masse salariale par le biais des intérimaires.
Mais ce qui est franchement inquiétant, ce sont les destructions de postes dans le tertiaire hors intérim (-15.600). A l'intérieur de cette catégorie se trouve le commerce de détail. Et là, le bilan est tout simplement catastrophique. C'est bien simple, dans ce secteur 15.500 emplois ont été perdus au troisième trimestre. C'est du jamais-vu depuis que les données ont été collectées sous cette forme - même en 1992-1993, les pertes avaient été beaucoup plus limitées (on avait enregistré un pic de pertes à 6.700 postes au troisième trimestre de 1992).
Soyons clairs, une relance de l'économie française devra obligatoirement passer par une aide à la consommation. Parce que ce sont les dépenses des ménages qui font notre croissance. Mais aussi parce que la distribution était un de NOS principaux pourvoyeurs d'emplois et qu'on ne peut pas plus la laisser tomber qu'il ne faut laisser tomber l'automobile.
Pour conserver une note d'optimisme, on remarquera cependant que la construction a de nouveau créé des emplois en T3 (+9 800). Il faut dire que même si les mises en chantier sont en train de s'effondrer, le secteur bénéficie toujours du soutien de l'entretien réparation.
Mais on ne peut pas croire que le BTP va pouvoir continuer de jouer le pompier de service de l'emploi pendant longtemps encore.
En réalité, le seul vrai motif de satisfaction des livraisons conjoncturelles du jour nous vient de l'inflation. Comme attendu, celle-ci est en train de baisser massivement et rapidement sous l'effet de l'effondrement des cours des matières premières énergétiques.
Rappelons-aussi que les effets de base jouent désormais favorablement: c'est en fin d'année dernière que le prix du baril avait commencé à flamber nettement. Bien entendu, un repli aussi marqué de l'inflation (de 2,7% à 1,6%) peut nourrir les craintes de déflation. C'est un risque, ne le cachons pas.
Mais nous estimons que cette situation sera évitée. D'une part, l'indice sous-jacent (épuré des composantes volatiles) s'est établi en hausse de 1,9% sur un an. Ce qui veut dire qu'il n'y a pas de pressions déflationnistes sur l'ensemble des biens et services échangés dans l'Hexagone. Elles restent cantonnées, du moins pour l'instant, aux produits dont les prix sont notoirement volatils. D'autre part, les liquidités restent très abondantes à l'échelle internationale et la BCE conserve une certaine marge de manoeuvre pour intervenir, que ce soit de manière conventionnelle ou non.
Le pouvoir d'achat demeure donc sous très haute tension, mais pas pour les mêmes raisons qu'avant. Alors qu'en début d'année c'était l'inflation qui réduisait à la portion congrue la part des revenus qui pouvait être consommée, désormais c'est l'emploi qui inquiète.
Il y a donc urgence à aider les ménages d'une manière ou d'une autre. Car un effondrement de la consommation condamne non seulement la croissance, mais aussi et surtout l'emploi.