Voici des réactions d'économistes après l'annonce jeudi d'une baisse des prix à la consommation en octobre (-0,1%) et d'une hausse de 2,7% sur un an.
- Marc Touati (Global Equities):
Les statistiques publiées aujourd'hui en France et en Allemagne sont sans appel : les principaux risques ne résident plus dans l'inflation, mais dans la récession, voire dans la déflation.
Ainsi, sans surprise, les prix à la consommation ont reculé de 0,1% en octobre dans l'Hexagone, affichant un glissement annuel de 2,7%, un plus bas depuis décembre 2007.
Cette baisse s'explique évidemment par la baisse des prix énergétiques (-3,7% sur le seul mois d'octobre). Dans ce cadre, compte tenu de la poursuite de la baisse des cours pétroliers mais aussi de l'ensemble des matières premières, ce repli devrait s'accentuer dans les prochains mois.
En outre, si les prix des services ont augmenté de 0,4% en octobre, il faut noter que les prix des biens manufacturés ont stagné en octobre. Autrement dit, si la hausse des prix énergétiques a mis du temps à se répercuter sur les prix des autres biens manufacturés, la répercussion de la baisse est beaucoup plus rapide.
Dans ce cadre, l'inflation française devrait repasser sous les 2% au plus tard en mars prochain.
Évidemment, il s'agit d'une bonne nouvelle pour le pouvoir d'achat des ménages. Mais seulement temporairement. Car, dans le même temps, la France est aussi affectée par un recul de son activité, qui devrait aggraver les destructions d'emplois enregistrées au deuxième trimestre et affaiblir par là même le moteur premier du pouvoir d'achat, en l'occurrence les salaires.
Ne l'oublions pas : le bon pouvoir d'achat n'est pas la résultante d'une faible inflation, qui va souvent de pair avec la morosité de l'emploi, mais le produit d'un emploi dynamique. Il faudra donc encore attendre, d'autant que la récession est en train de s'installer dans l'ensemble de la zone euro et notamment en Allemagne, qui vient d'annoncer l'évolution de son PIB au troisième trimestre.
Ainsi, après avoir déjà reculé de 0,4% au deuxième trimestre, le PIB allemand a encore plongé de 0,5% au troisième trimestre.
Bien entendu, la crise financière sera souvent présentée comme le coupable idéal. Mais il n'en est rien. Et pour cause : si la crise des subprimes a bien débuté en août 2007, la débâcle financière a commencé le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers. Donc juste quinze jours avant la fin du troisième trimestre. Autrement dit, même si cette faillite n'avait pas eu lieu, le PIB allemand aurait également reculé au troisième trimestre.
En deux trimestres, le PIB allemand a donc chuté de 0,95%, soit sa plus grave chute depuis la récession de 1993 (-1,2%). Même la récession de la fin 95-début 96 n'était pas aussi grave puisque le PIB allemand avait alors reculé de 0,90%.
Le vrai drame réside dans le fait que rien ne permet d'imaginer une amélioration au quatrième trimestre 2008. En effet, c'est en octobre et novembre que les principaux dégâts économiques de la crise financière ont été enregistrés. Dès lors, même si un rebond a lieu en décembre, notamment grâce à la baisse des cours pétroliers, le quatrième trimestre devrait également consacrer une baisse du PIB allemand d'au moins 0,2%.
Ce qui se traduit par un acquis de croissance bien négatif pour 2009.
Face à ce marasme, les déclarations des dirigeants politiques et monétaires allemands et eurolandais résonnent avec fracas : Ne nous disaient-ils pas encore début juillet que les risques sur la croissance étaient faibles et qu'il fallait donc augmenter le taux refi de la BCE ?
Et ce, alors que, la baisse du PIB allemand et eurolandais avait commencé depuis le printemps. A l'évidence, à l'heure où l'on cherche des coupables pour expliquer les déboires actuels, les dirigeants politiques et monétaires de la zone euro ont une part de responsabilité conséquente. Le problème réside dans le fait qu'ils n'oseront certainement pas se remettre en question. Ils ont d'ailleurs fait les mêmes erreurs en 2002, voire pour les plus anciens, au début des années 1990. Mais non, l'impunité fonctionne très bien pour certains.
- Alexander Law (Xerfi):
C'est l'un des seuls rayons de lumière de cette triste fin d'année pour l'économie française. L'inflation est repassée sous la barre des 3% en septembre (2,7%, soit la plus faible hausse sur un an depuis le début de l'année) et tout indique que le mouvement se poursuivra au cours des prochains mois. Bien entendu, cette modération des tarifs, qui soulage le pouvoir d'achat, aura été insuffisante pour sauver du naufrage la croissance économique du troisième trimestre. Mais le prolongement de cette désinflation devrait participer d'un rebond progressif de la consommation des ménages à compter de l'été prochain. D'ici là, il faudra se rendre à l'évidence, à l'instar de ses voisins britannique ou encore allemand (le PIB y a chuté de 0,5% en T3), la France est sûrement entrée dans une récession dont elle pourrait ne pas sortir avant début 2009.
Au premier rang des explications de la relative sagesse des prix en septembre, on retrouve bien entendu l'accalmie (voire l'effondrement pour certains d'entre eux) des cours des principales matières premières. Ainsi, les prix des produits pétroliers ont reculé de 5,9% sur un mois. Pour sa part, le glissement annuel demeure supérieur à 10%, suggérant que le mouvement désinflationniste lié au pétrole doit encore se prolonger. Or, aujourd'hui le baril se négocie à 55 dollars à New York contre 147 dollars à son plus haut niveau à l'été. Cela se transmet petit à petit aux prix à la pompe, ce qui non seulement apaise les tensions sur le porte-monnaie des automobilistes, mais surtout leur redonne un peu de baume au coeur. De fait, l'essence, tout comme les produits alimentaires, fait partie de ces achats répétitifs dont on mesure immédiatement la variation des prix. L'impact psychologique sera donc tout aussi important que l'impact économique stricto sensu.
Surtout, ce que révèle la publication de ce jour, c'est qu'il n'y a plus rien à craindre sur le front des effets de second tour. L'économie française a échappé à une boucle infernale prix-salaires qui aurait été particulièrement néfaste. Sachant que l'accalmie est également de rigueur dans l'ensemble de la zone euro, la Banque Centrale Européenne pourra, si elle le juge nécessaire, procéder à d'autres baisses de taux afin de sauver une croissance eurolandaise moribonde (il s'agit là, hélas !, d'un euphémisme).
A noter toutefois que les prix des produits manufacturés, qui reculaient jusqu'à l'été 2007, continuent petit à petit de progresser. Certes, la variation est très modeste, mais elle indique qu'il y a eu une certaine transmission du pic d'inflation connu il y a quelques mois dans les pays émergents (où il y a bel et bien eu des effets de second tour) vers l'économie française. Toutefois, les dernières données laissent à penser que ce phénomène ne devrait être que transitoire.
Au fond, après nous être alarmés de l'inflation jusqu'à l'été, nous serions désormais en droit de nous demander si la France, comme d'autres pays occidentaux, ne serait pas en train de s'orienter vers la déflation (à savoir la baisse durable des prix). Ce serait, à n'en pas douter, une catastrophe qui a déjà pu être observée au Japon : la politique monétaire y est complètement inefficace et la consommation a été laminée. Nous pensons toutefois que ce risque doit être écarté à court terme. En effet, les liquidités restent abondantes au niveau mondial et la création monétaire sera soutenue par les émissions massives de dettes de la part d'Etats soucieux de préserver leur croissance.
Le repli de l'inflation est donc une bonne nouvelle pour l'économie française, même s'il intervient trop tard pour éviter la récession. Au mieux, la hausse du PIB atteindra 0,9% cette année, avant une hausse de 0,6% l'an prochain dans un contexte de remontée toute progressive de la consommation à compter du second semestre.