Voici des réactions d'économistes après l'annonce mardi d'une baisse des prix à la consommation de 0,2% en juillet et d'une hausse de 3,6% sur un an.
- Nicolas Bouzou (Asterès):
Un point ne fait pas une tendance, et le chiffre de juillet ne nous dit pas grand-chose en lui-même. D'une part, l'inflation française sur 1 an reste forte. A 3,6%, elle demeure à son niveau du début des années 1990. D'autre part, pointer du doigt le recul des prix en juillet par rapport à juin n'a strictement aucun sens, pour une raison simple : les données d'inflation de l'INSEE ne sont pas désaisonnalisées.
Autrement dit, elles prennent en compte les baisses de prix liées aux soldes. Ainsi, d'aussi loin que l'on peut remonter dans les statistiques de l'INSEE, les prix à la consommation sont toujours, en moyenne, plus faibles en juillet qu'en juin.
Pour autant, il semble bien que la fièvre qui a frappé les marchés de matières premières ces derniers mois se calme un peu, ce qui devrait en effet se traduire sur les prix de détail d'ici la fin de l'année. Le cours du pétrole en dollars n'a quasiment pas augmenté en juillet (133,4 dollars en moyenne contre 132,6 dollars en juin), avant même de commencer à refluer en août. Plus globalement, juillet a vu le prix des matières premières importées par la France reculer (en euros), essentiellement en raison de la baisse des cours des matières premières alimentaires. Là encore, il est un peu tôt pour prononcer un jugement définitif, mais le ralentissement de la croissance dans les pays émergents et la surévaluation notoire de certains marchés suggèrent que ce mouvement d'apaisement pourrait se poursuivre encore quelques mois.
Cet apaisement, s'il se confirme, aurait un impact sensible sur l'inflation. En effet, sur les 3,6% d'inflation de juillet, 1% émanent de l'alimentation, et 1,5% de l'énergie. Une stabilisation des cours des matières premières sur les niveaux actuels (déjà très élevés) permettrait donc de ramener progressivement l'inflation française vers son niveau de ces dernières années, c'est-à-dire à peu près 1,5%. Dans ce cas, les gains de pouvoir d'achat des ménages redeviendraient positifs, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Autre nouveauté : le risque de spirale prix / salaires s'éloigne en Europe. La politique rigoureuse de la BCE a permis un dégonflement des anticipations inflationnistes, et la faiblesse de la croissance pèse sur la formation des salaires. Les coûts salariaux sont donc maîtrisés, ce qui constitue la meilleure assurance anti-inflation possible. D'ailleurs, à 2%, l'inflation sous-jacente reste sage.
Ainsi, si le chiffre d'inflation de juillet ressemble à s'y méprendre à ceux de ces derniers mois, la situation économique mondiale semble autoriser un freinage des prix d'ici la fin de 2008. C'est, dans un océan de mauvaises nouvelles macroéconomiques, une consolation.
- Alexander Law (Xerfi):
Par les temps qui courent, on pourrait presque appeler cela une bonne nouvelle:
l'inflation ne progresse plus en France. Les prix à la consommation ont ainsi grimpé de 3,6% sur un an en juillet, soit au même rythme qu'en juin. Sur un mois, la tendance est même légèrement baissière avec un repli de 0,2%, même si en données corrigées des variations saisonnières les tarifs grimpent de 0,1%. Il faut toutefois souligner que le rythme de progression des prix reste bien supérieur à celui des salaires en glissement annuel : en d'autres termes, le pouvoir d'achat des ménages reste sous très forte tension. Dans ces conditions, il est difficile d'envisager une reprise de la consommation des ménages au troisième trimestre. Résultat : la croissance du PIB restera au mieux microscopique entre juillet et septembre, après un deuxième trimestre déjà bien compliqué, de sorte que le spectre de la récession ne saurait être sérieusement écarté. Mais, par rapport aux livraisons précédentes des chiffres de l'inflation, nous avons désormais un espoir sérieux que les tensions se résorbent assez rapidement. Ainsi, le cours du pétrole, le principal protagoniste dans la flambée actuelle des prix (avec les matières premières agricoles), a chuté de plus de trente dollars au cours des dernières semaines. D'ailleurs, en juillet, les prix des produits pétroliers n'ont augmenté "que" de 0,3% en France. Et aujourd'hui rien n'indique que ce mouvement ne puisse pas perdurer au cours semaines voire des mois à venir. Cela serait d'ailleurs tout à fait logique car l'économie mondiale a brutalement freiné.
Certes, la croissance du PIB a été plus qu'honorable (eu égard aux circonstances) aux Etats-Unis en T2. Mais cela ne durera pas, dans la mesure où les dépenses des ménages avaient été dopées artificiellement par les cadeaux fiscaux de l'Administration américaine. Un retour de bâton est donc tout à fait envisageable au troisième trimestre. En Europe, la situation n'est guère meilleure : le PIB a baissé en Italie et certainement en Allemagne. Au Royaume-Uni, la croissance a été asthénique : une situation que l'on pourrait bien retrouver en Espagne et, malheureusement, en France également. Situation nouvelle, même la Chine montre des signes de ralentissement, ce dont témoigne la décrue importante de son excédent commercial. Autrement dit, un retour sous les 100 dollars du cours du baril de pétrole avant même la fin de l'année est aujourd'hui une hypothèse qui doit être prise très au sérieux. Bien entendu, nous ne sommes jamais à l'abri d'un incident géopolitique, mais le fait est que la situation géorgienne n'a pas fait dévier le baril de sa tendance actuelle.
La deuxième bonne nouvelle qu'on pourrait associer à cette baisse plus rapide qu'espérée du prix du pétrole pourrait dès lors nous venir de la BCE. Car la configuration serait alors radicalement différente de celle du premier trimestre notamment. L'inflation est en voie d'apaisement, sans apparition des effets de second tour tant redoutés, tandis que la croissance économique s'est subitement enrayée. Cela ouvrirait en grand la porte à une baisse des taux au quatrième trimestre, ce qui donnerait dès lors une certaine bouffée d'oxygène à une économie eurolandaise qui en manque cruellement.
Au fond, même si la situation reste aujourd'hui compliquée, la fin du dérapage des prix en France paraît proche. Il est ainsi tout à fait rassurant de constater que l'inflation sous-jacente (c'est-à-dire celle qui est épurée des éléments volatils tels que l'énergie ou les produits alimentaires) ne dépasse pas les 2%. Il faut dire que les prix des produits manufacturés sont stables sur un an sur fond de fortes pressions concurrentielles et de vigueur de l'euro (même si la devise européenne a perdu quelques couleurs ces derniers jours face au dollar dans le sillage de la plongée du baril).
Paradoxalement, l'annonce d'une inflation à 3,6% en France est aujourd'hui assez rassurante. Bien entendu, la volatilité notoire des marchés des matières premières nous incite à la prudence. Mais la baisse des prix à la pompe et le ralentissement de la hausse dans l'alimentaire pourrait participer d'un rebond du pouvoir d'achat en fin d'année 2008. Pour sauver le PIB du deuxième et du troisième trimestre, c'est naturellement trop tard. Toutefois, on peut espérer un retour, certes modeste, à la croissance au quatrième trimestre. L'année 2008 a été particulièrement difficile, mais 2009 n'est pas encore condamné. C'est déjà cela de pris.
- Mathieu Kaiser (BNP Paribas):
En juillet, les prix ont reculé de 0,2% m/m. L'inflation s'est ainsi stabilisée à 3,6% (g.a.), son plus haut niveau depuis 17 ans. En mesure harmonisée aux normes européennes (IPCH), qui reflète en particulier l'effet des franchises médicales mises en place début 2008, l'inflation est demeurée à 4% (plus haut historique). L'inflation sous-jacente est restée contenue à 2%.
Cette stabilisation de l'inflation est due en particulier à la baisse marquée des prix des biens manufacturés, sous la pression de rabais plus agressifs que d'habitude durant les soldes d'été (-9,5% m/m contre -7,3% en moyenne sur 10 ans). Elle a compensé notamment une diminution saisonnière des prix des produits frais moins importante que d'habitude.
La baisse rapide des prix du pétrole enclenchée en juillet devrait commencer à se refléter dans l'indice des prix de l'énergie en août (il a encore affiché +0,2% m/m en juillet). L'ampleur du recul des cours pétroliers devrait plus que compenser la hausse des tarifs de l'électricité (2%) et du gaz (5%), effective au 17 août. Hors aléas géopolitiques, les cours de l'or noir pourraient d'ailleurs continuer à refluer après août, en ligne avec la dépréciation de l'euro, plombé par le ralentissement brutal observé en Europe. Parallèlement, les prix alimentaires devraient aussi se tasser avec le cours des matières premières agricoles. La contribution des composantes énergétiques et alimentaires à l'inflation, qui en représentaient encore les deux tiers en juillet, devrait donc nettement dégonfler dans les mois qui viennent.
Il est probable que l'inflation ait établi un pic en juillet. Toujours bien supérieure au rythme de progression des salaires, elle continuera cependant de rogner le pouvoir d'achat et de peser sur les perspectives de consommation tant qu'elle dépassera 2,5% - i.e. sans doute jusqu'à la fin de l'année au moins. D'ici là, les inquiétudes des ménages quant aux perspectives d'emploi auront probablement pris le pas sur les craintes relatives aux prix.