Le groupe pétrolier russe Rosneft a averti vendredi qu'il pourrait réclamer des compensations au géant britannique BP après l'interdiction par la justice de leur alliance pour exploiter une région au coeur de l'Arctique, une affaire qui ternit la réputation de BP en Russie.
Annoncé en fanfare à la mi-janvier, l'accord entre les deux groupes en vue de prospecter et d'exploiter en commun une région immense de 125.000 kilomètres carrés au coeur de l'Arctique russe a subi un revers de taille jeudi, le tribunal international d'arbitrage de Stockholm l'ayant bloqué.
La justice avait été saisie par l'actionnaire russe de la coentreprise de BP en Russie TNK-BP, le consortium Alfa-Access-Renova (AAR), qui s'estime lésé par l'opération.
AAR argue que l'accord enfreignait les clauses du pacte d'actionnaires de TNK-BP, en vertu duquel les partenaires ont convenu de réaliser tous leurs projets en Russie et en Ukraine à travers la société commune.
Interrogé vendredi sur d'éventuelles compensations que Rosneft pourrait exiger auprès de BP, le vice-Premier ministre russe, Igor Setchine, qui est aussi président du conseil d'administration de Rosneft, a répondu: "pourquoi seulement auprès de BP?".
"La compagnie va voir qui est coupable de la rupture de l'alliance", a déclaré M. Setchine, cité par les agences russes, qui a ajouté que Rosneft subissait déjà un manque à gagner du fait de cette décision judiciaire.
La major britannique voit sa réputation, déjà fortement entachée après la marée noire dans le Golfe du Mexique, de nouveau ternie, soulignaient vendredi les analystes.
Le fait de nouer une telle alliance sans avoir réfléchi aux risques juridiques n'est "pas professionnel", a estimé Artiom Kontchine, d'UniCredit. BP pensait que les actionnaires russes s'inclineraient devant l'Etat russe, "mais cela ne s'est pas passé comme ça", a déclaré l'analyste à l'AFP.
L'avenir de BP en Russie est en péril, soulignent de leur côté les analystes de Troïka Dialog, car la rupture de l'alliance pourrait "sérieusement mettre à l'épreuve la patience de la direction de Rosneft (...) et peut-être du gouvernement russe lui-même".
Malgré cette déconvenue, la Russie n'abandonne pas ses projets d'explorer l'Arctique, une des dernières régions du monde où les réserves d'hydrocarbures sont encore à découvrir, a insisté M. Setchine.
"BP nous convient comme partenaire mais les difficultés actuelles ne doivent en aucune manière influer sur NOS projets d'exploration de l'Arctique", a-t-il déclaré.
Pour la banque d'investissement Renaissance Capital, deux options sont maintenant possibles. "Soit Rosneft décide de remplacer BP avec une autre major internationale dans sa coentreprise sur l'Arctique, soit AAR devra être racheté" par BP ou Rosneft, estime-t-elle.
Le quotidien économique Vedomosti, citant un responsable de Rosneft, rapportait vendredi que le groupe russe avait été approché par l'anglo-néerlandais Shell et par les américains Chevron et ExxonMobil.
Une source au sein d'AAR a de son côté indiqué au journal que le consortium était prêt à vendre sa part dans TNK-BP pour 30 milliards de dollars, afin de mettre fin au différend. Un montant faramineux dont ne dispose pas pour l'heure le britannique, soulignent les analystes.
Quoi qu'il en soit, M. Setchine a répété que TNK-BP ne pouvait pas remplacer BP dans l'alliance.
"Les actions de TNK-BP ne s'échangent ni à la Bourse de New-York ni à Londres et à Francfort, et n'ont jamais été envisagées pour un échange d'actifs", a-t-il déclaré.
Le vice-Premier ministre a en outre souligné que la décision du tribunal de Stockholm n'était pas "définitive", indiquant qu'une nouvelle audience aurait lieu le 7 avril.