A l’image de la situation française, c’est seulement après la levée de boucliers de la classe politique que Herbert Walter, l’ex-patron de la Dresdner Bank, a finalement renoncé à toucher ses « indemnités » de départ s’élevant à 3,6 millions d’euros – alors que la banque affiche pour 2008 des pertes records de plus de six milliards d’euros. Ce faisant, Herbert Walter a clairement signalé que la loi lui permet de faire valoir ses droits, en l’occurrence le paiement de ses indemnités. D’ailleurs, il est le seul à y avoir renoncé, les autres membres de la direction ayant touché 58 millions d’euros d’indemnités, soit deux fois plus que l’année précédente.
Le « geste » d’Herbert Walter est en effet peu suivi chez les patrons outre-Rhin. Les anciens dirigeants de la Hypo Real Estate (HRE), spécialisée dans le crédit immobilier, persistent, eux, à vouloir toucher leurs indemnités de départ, soit deux à trois années de salaire. Or, la HRE est devenue le symbole même de la crise financière en Allemagne : malgré un plan de soutien s’élevant à la somme abyssale de 100 milliards d’euros, l’institution se trouve toujours en très grande difficulté. L’Etat vient de prendre une participation directe de 8,7% pour 60 millions d’euros, via le fonds fédéral d’aide au secteur bancaire (le Soffin), ouvrant la voie à une nationalisation de l’institution qui devrait aboutir fin juin.
« Montant raisonnable »
L’arsenal législatif mis sur pied par Berlin prévoit bien de limiter les salaires des dirigeants du secteur bancaire bénéficiant des aides publiques à 500 000 euros par an. Pour le moment, seuls les nouveaux dirigeants de la Commerzbank, la deuxième banque du pays qui vient d’acquérir la Dresdner Bank grâce au soutien de l’Etat, sont concernés. Pour les « managers » des autres entreprises, la loi laisse les dirigeants régler la question des salaires et bonus entre eux, se contentant d’indiquer « un montant raisonnable ». C’est l’ensemble du conseil de surveillance, qui comprend en Allemagne un représentant des salariés, qui fixe dorénavant les montants… Mais comme dans d’autres pays, notamment la France, les membres de ces conseils sont également présents dans ceux d’autres entreprises… C‘est donc un microcosme qui se fixe lui-même ses rémunérations. Il revient alors aux représentants du personnel la délicate tâche de voter contre les augmentations des indemnités patronales. Sans que le système le permette vraiment : lorsque Michael Sommer, chef du puissant syndicat DGB et membre du conseil de surveillance de la Deutsche Post (privatisée en Allemagne), a voté contre la rétribution d’indemnités supplémentaires, sa voix a été bloquée par celle du président du conseil…qui compte double.
"Asozial"
En baisse, le marché de l’emploi ne s’est cependant pas (encore) effondré en Allemagne –notamment grâce à l’emploi massif du chômage partiel par les entreprises. « La crise frappe plus rapidement les classes moyennes et ouvrières en Grande-Bretagne et en France », observe le professeur en politique Claus Leggewie dans une interview au quotidien Frankfurt Rundschau. « Mais dès que les grandes vagues de licenciements vont commencer en Allemagne, par exemple dans les banques, la situation va devenir toute autre », prévient l’universitaire. Déjà, à coté des 35 000 manifestants qui ont défilé à Berlin et Francfort fin mars, les fronts se radicalisent dans les entreprises avec notamment sept ouvriers de Volkswagen qui viennent d’entamer une grève de la faim.
Le ton monte donc dans l’opinion publique à mesure que les victimes de la crise se font plus nombreuses – et visibles. Les « managers », longtemps perçus comme l’élite économique de la Nation, sentent le vent tourner. Les nouveaux « Asozial » (terme qui signifie avoir un "comportement destructeur" pour la société) ont perverti l’idée même de l’économie de marché, peut-on ainsi lire dans le quotidien Frankfurter Rundschau. « Pour les nouveaux asociaux, il ne s’agit plus de la reconnaissance de leurs performances mais tout simplement d’encaisser le plus et le plus vite possible. »