C'est un jeune député du parti travailliste (PVDA), majoritaire à l'assemblée, qui est principalement à l'origine d'une loi qui risque bien de révolutionner les pratiques des grands dirigeants de compagnies installées sur le sol néerlandais. Paul Tang, qui passait pour un utopiste il n'y a pas si longtemps, voit, en effet, son texte adopté et mis en pratique le 1er janvier de cette année. Sont visés dans cette loi, les grands patrons dont le revenu dépasse les 500 000 euros annuels : retraites « gonflées », parachutes dorés et compagnies gérant des fonds d'investissement seront désormais sérieusement taxés. Pas moins de 15% d'imposition sur les bénéfices d'une société qui augmenterait le salaire de son dirigeant juste avant son départ en retraite, 30 % sur la prime de départ de ce même dirigeant si celle-ci dépasse son salaire annuel, et enfin 25 % sur le gain des compagnies qui gèrent des fonds d'investissement. Les bonus n'échappent pas à cette nouvelle fiscalité: « La crise du crédit est en partie due aux bonus que les directeurs d’établissements financiers touchent quand ils font beaucoup de bénéfices », constate le Ministre des Finances Wouter Bos, « ils doivent, par conséquent être justifiés », ajoute-t-il. Et de menacer : « Si le secteur financier lui-même ne s’accorde pas sur ce point, nous devrons le faire par loi », l'idée étant d'exiger le remboursement des-dits bonus par les grands patrons de banque et de compagnies d'assurance en cas de "mauvaise gestion".
Inefficacité du Code de bonne conduite
Si le gouvernement hausse ainsi le ton, c'est en grande partie pour apaiser la colère exprimée par les néerlandais, suite à plusieurs scandales financiers. Déjà en 2004, le gouvernement est incité à créer un code de bonne conduite des dirigeants, suite à l'énorme scandale financier du géant de la distribution Ahol, condamné pour avoir truqué ses résultats. Ce code, dit « code Tabaksblat », du nom de l'ancien directeur d'Unilever choisi pour en rédiger les 100 propositions, se voulait un outil de gouvernance des affaires. Aucune obligation de s'y plier, cependant, les dirigeants ayant pour seule obligation d’expliquer leur refus - C’est d’ailleurs sur ce même principe que repose le code d’éthique du MEDEF en France-. Son application fut donc sans réelle surprise un échec, en particulier sur la rémunération des dirigeants, et notamment la règle stipulant que les primes de départs ne devaient pas excéder un an de salaire…Cette disposition n’a jamais été appliquée.
Enfin, le démantèlement en 2007 de ABN Amro, la plus grande banque du pays, qui entraina la perte de 7 500 emplois pendant que son PDG Rijkman Groenink partait avec un pactole de 30 millions d'euros, fut l'affaire de trop ! La fierté nationale et l'esprit égalitaire fortement prégnant dans la culture néerlandaise ne l’ont pas supporté.
Aujourd’hui, les mentalités semblent changer. Récemment, le PDG de la banque ING , Jan Hommen, -qui enregistre toujours de sérieuses pertes malgré l'injection de 10 milliards d'euros par le gouvernement-, se plie à l'injonction du Ministre des Finances Wouter Bos et renonce, ainsi que ses principaux actionnaires, à percevoir tout bonus pour 2008 et 2009. Cet ancien dirigeant de Philips renonce aussi à percevoir un quelconque salaire jusqu'à 2010, quand la nouvelle politique de rémunération du groupe sera fixée. Floris Deckers, président du conseil d’administration de la banque néerlandaise Van Lanschot Bankie vient quant à lui de présenter ses excuses, à la demande du Ministre des Finances, pour sa responsabilité dans la crise financière.
De manière générale, les principaux grands dirigeants s'expriment très peu sur le sujet. Le plus grand syndicat patronal néerlandais (le VNO-NCW) qui, à propos de cette nouvelle loi fiscale, se contente d'agiter l'habituel chiffon rouge des délocalisations a déclaré : « Nous n'avons pas de réaction particulière sur le sujet, sinon qu'il y a toujours le risque que nous perdions des compétences internationales à cause de mesures nationales ».
Enfin, le groupe franco-allemand EADS, dont le siège est installé juridiquement à Amsterdam "pour des raisons de gouvernance et de neutralité terrritoriale", va-t-il quitter cette domiciliation ? « Non", répond le groupe. "EADS ne déménagera pas. L’entreprise restera à Amsterdam malgré cette loi du 1er janvier ». De fait, les Pays-Bas espèrent bien ne pas rester le seul pays à prendre des mesures contraignantes à l'égard des grands patrons et observent attentivement la politique du président américain Obama, concernant les salaires supérieurs à 500 000 dollars.
Sandrine Dumont à Rotterdam (Pays-Bas)