Pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ?
La communication financière vers les analystes et les investisseurs institutionnels est relativement récente chez Air Liquide. Pendant très longtemps, le groupe s'est en effet concentré avant tout sur ses actionnaires individuels et sa relation avec eux est unique en France. Pendant les six-huit premiers mois de la crise, certains institutionnels sont sortis du capital alors que les actionnaires individuels se sont montrés extrêmement fidèles et ont même renforcé leur participation. Pendant les six premiers mois de 2009, nous avons enregistré plus d'ordres d'achat que de vente de leur part, ce qui marque un vrai témoignage de confiance.
Aujourd'hui, les particuliers représentent 38 % du capital d'Air Liquide... S'ils assurent la stabilité du cours, ceux qui animent le titre au quotidien, ce sont les institutionnels et les hedge funds. Or ceux-ci réagissent beaucoup aux études des analystes. Suite à la publication de nos résultats annuels, par exemple, Merrill Lynch est devenu positif sur le groupe et le titre a pris 4 % dans la journée. Cela nous conduit aujourd'hui à nous benchmarker en permanence pour savoir si nous sommes dans la bonne moyenne en termes de road shows, de réunions avec les investisseurs et analystes.
Nous avons à ce titre segmenté les institutionnels en trois catégories. Dans la première figurent les investisseurs (fonds de pension, compagnies d'assurance, fonds souverains, etc.) qui partagent les valeurs du groupe, pour qui les fondamentaux, la résistance du modèle économique et la gouvernance sont importants. Ce sont eux que rencontre en priorité la direction générale et notamment Benoît Potier, président du groupe. Je rencontre les investisseurs de la deuxième catégorie tandis que les équipes des relations investisseurs se concentrent sur la troisième.
Que pensez-vous du développement des plateformes alternatives sur lesquelles s'effectuent de plus en plus de transactions sur les titres des grands groupes ?
A peine plus de 50 % de nos volumes quotidiens sont négociés sur Euronext, voire moins certains jours. Le titre est de plus en plus traité sur les plateformes alternatives et nous avons beaucoup de mal à savoir ce qui se passe. Certains jours, nous enregistrons des mouvements tout à fait atypiques par rapport à l'évolution du marché, ce qui nous laisse perplexes. Nous avons de même de plus en plus de difficultés à disposer d'une analyse fine de notre actionnariat. Nous effectuons régulièrement des enquêtes pour essayer de mieux comprendre quel est notre actionnariat, mais quand nous rencontrons des investisseurs, leur position affichée dans ces enquêtes n'est pas toujours la même que celle qu'ils nous annoncent. C'est un sujet d'inquiétude pour les groupes au capital ouvert comme le nôtre, de ne pas être informés en tant réel des mouvements sur notre titre.
Les normes comptables constituent-elles un autre sujet de préoccupation ?
Avec les normes IFRS, la comptabilité devient en partie contre-intuitive, ce qui ne va pas dans le sens d'une plus grande transparence. Certaines normes conduisent à combiner les résultats de l'exploitation et les variations du patrimoine. S'il est légitime que le bilan reflète ces variations, en revanche il n'est pas toujours logique de les intégrer au compte de résultat... De même, les normes IFRS donnent de plus en plus de place au «jugement» (c'est le cas par exemple avec les «impairment tests»), alors que l'objectif initial était inverse. Il va devenir de plus en plus difficile d'expliquer aux investisseurs les évolutions de l'activité en se fondant sur les comptes consolidés.
Comment est organisée la direction financière ?
L'équipe finance du groupe est légère puisqu'elle représente moins de 50 personnes. La direction financière au sens large représente plus de 1 000 personnes dans le monde.
Historiquement, toutes les directions financières des entités rapportaient à leur patron local et avaient un lien fonctionnel direct avec la direction financière groupe. Cette organisation était très lourde à gérer et nous sommes donc en train de créer des paliers avec des directions financières régionales, pour organiser des relais dans les grandes zones. Depuis deux ans, une direction financière Europe est en place. L'année dernière un directeur financier a été nommé pour l'Afrique Moyen-Orient, et depuis le 1er janvier nous avons un directeur financier pour les Amériques. Un poste similaire sera sans doute créé en Asie.
Tous les 15 jours, je réunis en outre dans un comité de direction finance mes proches collaborateurs, c'est-à-dire les responsables des différentes fonctions de la direction financière. C'est l'occasion de faire le point sur les sujets communs et de confronter nos visions pour être s-r que rien d'important ne nous a échappé.
Comment travaillez-vous avec la direction générale ?
Il existe un comité financier trimestriel avec la direction générale sur les sujets de financement et un rendez-vous mensuel au cours duquel l'activité, les performances et les principaux sujets financiers sont analysés. Nous procédons également à une «operation review» mensuelle. La direction financière réunit le directeur général en charge de chaque zone et les managers opérationnels concernés pour évoquer les événements du mois passé et leurs conséquences financières. C'est extrêmement utile pour mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain.
Il existe enfin un autre organe important, le «resources and investment committee» (RIC), qui réunit un membre du comité exécutif en charge d'une zone, un des directeurs généraux, le responsable du contrôle de gestion et moi-même. Ce comité se tient par métier tous les 15 jours environ et passe en revue tous les projets d'investissement supérieurs à 2 millions d'euros. Compte tenu de notre intensité capitalistique, cet exercice est absolument essentiel pour le groupe, car il permet de contrôler la stabilité de notre retour sur capitaux investis.
Quels sont précisément vos ratios clés ?
Le retour sur capitaux investis a toujours été un indicateur important car c'est le «juge de paix» sur le long terme. Nous suivons également la progression du chiffre d'affaires en base comparable, et celle de la marge opérationnelle. Nous sommes de même très attentifs au résultat net car c'est sur lui finalement que reposent les promesses faites aux actionnaires. Enfin, depuis la crise, nous regardons tous les mois l'évolution du cash-flow, du besoin en fonds de roulement, de l'encours client, de la dette nette, etc.
La dimension ressources humaines est-elle importante dans votre fonction ?
C'est absolument vital car Air Liquide est un groupe fondé sur la diversité, la mixité et la mobilité. On y privilégie souvent les carrières business et opérationnelles. De ce fait, j'ai parfois du mal à garder mes directeurs financiers longtemps car le groupe leur offre de belles perspectives d'évolution interne ! Un de mes objectifs est de faire comprendre que la finance est un métier où l'on peut faire de très belles carrières...
Propos recueillis par Valérie Nau