"Le mythe climatique" de Benoît Rittaud, "L’imposture climatique" de Claude Allègre ou "CO2, un mythe planétaire" de Christian Gerondeau…Ces livres de climato-sceptiques ont aujourd’hui un fort succès en librairie et dans les médias. Depuis l’affaire du "Climategate" apparue en amont de Copenhague et l’échec du sommet, la France, qui semblait jusque là assez peu réceptive à ces théories, est aujourd’hui beaucoup plus à l’écoute. "En 2 mois c’est devenu branché d’être climato-sceptique alors qu’il n’y a pas si longtemps il valait mieux se cacher", déclarait, en février, le mathématicien Benoît Rittaud dans une émission d’Arrêt sur image consacrée au sujet. Tant et si bien que plusieurs associations telles que le WWF, le RAC, la Fondation Nicolas Hulot, et la société météorologique de France ont organisé la semaine du 22 mars la "Climate week" pour remobiliser les troupes et débattre, notamment avec le climato-sceptique Benoît Rittaud , initiative qui n’a pas fait l’unanimité au sein des organisateurs.
Un contexte propice
Comment en est-on arrivé là ? "Pendant longtemps, la France a été une espèce d’exception ; même pendant le Grenelle, les climato-sceptiques ne se sont pas fait entendre ! ", souligne Dominique Bourg, directeur de l’Institut de politiques territoriales et d’ENVIRONNEMENT humain à l’Université de Lausanne. "Il faut dire que certains modèles utilisés par le GIEC n’ont été rendus publics que récemment ; pendant un moment, l’essentiel de nos efforts a donc été consacré à les obtenir car nous n’avions pas les modes d’emploi pour les critiquer", tient à préciser Benoît Rittaud. Pourtant, de l’autre côté de l’Atlantique, les climato-sceptiques se font entendre depuis des dizaines d’années.
La nouvelle audience de ce courant dans l’Hexagone s’explique donc surtout par le contexte. Depuis un an, la crise économique, l’échec du sommet de Copenhague et la mise à jour d’erreurs d’un GIEC à la fois institutionnalisé par le prix Nobel et de plus en plus critiqué, ont fragilisé le discours dominant et favorisé la montée en puissance de ce courant qui remet en cause l’origine humaine du réchauffement climatique. Ainsi, alors que le public a été extrêmement sollicité et mobilisé depuis un an, "le fait que la centaine de chefs d’Etats réunis à Copenhague n’ait pas réussi à se mettre d’accord, a donné l’impression que ce n’était pas si grave que cela", analyse Sandrine Mathy, la présidente du Réseau Action Climat France. Pour autant, "il n’y a jamais vraiment eu consensus. D’une part parce que cela est inhérent au domaine des sciences et d’autre part, parce que la question du changement climatique est particulièrement sensible du fait de ses implications économiques, sociales et géopolitiques", rappelle Florence Rudolf, professeur à l’Unsa Strasbourg, spécialiste des mobilisations écologistes et auteur du livre "le climat change…et la société ?"(1).
Certains climato-sceptiques, comme Claude Allègre, affichent d’ailleurs clairement la visée "avant tout politique" de leur thèse. Et si Benoît Rittaud se défend d’avoir de tels objectifs, il précise tout de même en préambule de son livre : "nous avons intérêt à cesser de consacrer temps, argent et matière grise à ce faux problème du réchauffement climatique" (2). "Il est vrai aussi que le discours sur le changement climatique peut être culpabilisant et n’est pas associé à des moyens d’actions conséquents. Pour certains, il apparaît donc comme inconfortable et laisse une sorte de sentiment d’impuissance", explique Florence Rudolf. D’où une certaine attirance pour des thèses écolo-sceptiques.
De fait, dans une tribune publiée dans Libération (3), l’essayiste Pascal Bruckner s’emporte contre "une certaine écologie" qui fait preuve d’un "anthropocentrisme déchaîné" en "attribuant les malheurs de la terre à la seule espèce humaine". "Une chose est d’exagérer la menace de catastrophe pour l’éviter, une autre de tomber dans un nouveau millénarisme en jouant inutilement avec la peur", estime-t-il.
Ce genre de tribune, qui se multiplie dans les médias, est d’ailleurs fustigé par les associations environnementales, tel le Réseau Action Climat, qui voit dans la "place médiatique démesurée" accordée aux climato-sceptiques, l’un des facteurs de leur montée en puissance. Car après les Unes sur les dangers du réchauffement c’est aujourd’hui la polémique qui fait vendre. Et ce alors même que 84% des Français affirment croire au réchauffement de la planète et 77% qu’il est scientifiquement prouvé selon un sondage Ipsos, réalisé en janvier…
Quel impact politique ?
Cette place médiatique donnée aux climato-sceptiques a-t-elle un écho dans la politique gouvernementale sur le sujet ? La déclaration de Nicolas Sarkozy, à l’issue du salon de l’agriculture 2010, sur le fait que "l’environnement ça commence à bien faire" semble y participer, tout comme l’abandon de la taxe carbone. Est-ce une victoire non plus seulement des climato-sceptiques mais plus largement des "écolo-sceptiques", comme l’a suggéré Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat à l'Ecologie? Pour les associations environnementales, la réponse est clairement oui. "Entre ça, l’échec de Copenhague et celui, plus récent, de la Cites sur la sauvegarde du thon rouge, on a l’impression que tout va dans le sens contraire…C’est un peu décourageant", se désole Sandrine Mathy.
De l’autre côté, sur son blog "Mythe climatique", Benoît Rittaud s’interroge : la "percée médiatique de ces trois derniers mois a-t-elle joué un rôle dans l’abandon de cette taxe de toute façon très impopulaire ? Difficile de l’affirmer avec certitude, même s’il est clair que le sujet est nettement plus visible dans les médias". Pour autant y a-t-il un mouvement coordonné au plan mondial ? Pas vraiment, d’abord, les arguments et objectifs des climato-sceptiques restent hétérogènes. De plus, "s’il y a bien des tentatives d’organisation, notamment aux Etats-Unis, l’idée d’une action menée par un seul groupe paraît bien peu probable", souligne Florence Rudolf.
"Il y a d’une part, des logiques individuelles, ce qui est le cas de Claude Allègre et, d’autre part, une logique de lobbies composés d’un ensemble assez nébuleux. Il y a une fracture au sein même des structures traditionnelles comme les industriels ou les syndicats", remarque pour sa part Dominique Bourg. Mais si les modes d’organisations et d’actions des climato-sceptiques sont encore flous et font l’objet de recherches leur nouvelle audience questionne les "climato-convaincus" et les associations environnementales sur leurs propres pratiques.
(1) Le climat change…et la société ?, éditions La ville brûle, novembre 2009.
(2) Le mythe climatique, collection Science ouverte du Seuil, février 2010.
(3) Le réchauffement qui refroidit, 13 janvier 2010
Béatrice Héraud