Depuis le rapport de Pavan Sukhdev sur la biodiversité (1), les faits sont désormais connus: notre système économique est largement dépendant des écosystèmes. D’ici à 2050 la dégradation des services écologiques pourrait représenter jusqu’à 7% du PIB mondial ; et l’impact pour les entreprises est bien plus concret qu’on ne le pense à première vue. A titre d’exemple, la disparition de la forêt de Masaola, à Madagascar, pourrait représenter une perte de 1,5 milliard de dollars pour l’industrie pharmaceutique, 5 milliards de dollars pour le tourisme, 4 milliards de dollars pour les 8000 ménages qui en dépendent pour leurs aliments, les plantes médicinales ou encore les matériaux de construction et de tissage issus de cette forêt…Les services rendus par les écosystèmes sont innombrables, et cette réalité commence à être assimilée par les dirigeants d’entreprise eux-mêmes. Dans un tout nouveau guide des bonnes pratiques édité par le Medef, Laurence Parisot explique ainsi dans sa préface : « la biodiversité nous rend des services essentiels, que nous retirons souvent gratuitement du fonctionnement des écosystèmes. Elle est aussi source de nombreux emplois nouveaux. »
Des bonnes pratiques…de niche
Le guide égrène ainsi les exemples : re-végétalisation d’anciens sites miniers, mise en place de ruches sur un site de stockage des déchets, construction de sentiers pédagogiques sur le site d’une carrière pour sensibiliser le public à la faune, réaménagement d’une carrière en zone ornithologique, démarche de certification pour la filière bois ou adoption d’un plan biodiversité pour concilier développement économique et respect du milieu naturel…La plupart de ces initiatives sont mises en place sur des sites appartenant à de grands groupes comme Total, Arcelor Mittal ou Lafarge, qui travaillent en concertation avec des acteurs locaux -parcs naturels ou régionaux-, des associations d’entreprises comme Orée ou ONG internationales telles que l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). « Ces partenariats sont indispensables car souvent l’entreprise n’a pas les connaissances suffisantes. Pour les petites entreprises se rajoute également le manque de moyens financiers et humains », précise Hélène Soyer, responsable ‘Entreprises et biodiversité’ de l’UICN qui travaille avec Edf, Yves Rocher ou Veolia.
Un sujet encore difficile à appréhender pour les entreprises
Il est vrai que même en cette « année de la biodiversité », les entreprises semblent encore très frileuses à l’idée de communiquer. Pour autant, « de plus en plus d’entreprises se rendent compte qu’elles dépendent du monde vivant pour leurs activités –matières premières, biotechnologies, énergie, ressources génétiques, etc- et qu’elles modifient les écosystèmes en bénéficiant, consciemment ou non, de leurs nombreux services tels que la qualité des sols ou la quantité d’eau », souligne en effet Joël Houdet, chargé d’étude biodiversité pour Orée. De fait, en plus des organismes précités, des offres de conseil ou des cabinets spécialisés en biodiversité commencent à se développer en France (Inspire, Gondwana, Dervenn, PwC, Altadev) comme à l’étranger (World ressources institute) et des nouveaux outils d’auto-diagnostiques sont lancés comme l’IIEB d’Orée qui identifie les liens entre l’entreprise et le monde vivant ou l’ESR (Eco system review) d’Inspire qui porte sur l’analyse des risques et opportunité.
Car la préservation de la biodiversité est un véritable enjeu pour l’entreprise : elle peut y gagner en image, en acceptabilité par les parties prenantes, en innovation, et éviter d’y perdre en anticipant les règlementations ou en sécurisant sa chaîne d’approvisionnement. Pourtant, encore aujourd’hui, rares sont les entreprises qui ont réellement pris en compte cette interdépendance dans leur stratégie. « L’heure est avant tout à la prise de conscience, à la formalisation de la problématique et à la construction de nouveaux outils », constate Joël Houdet. Lui-même travaille pour Orée à la création d’un « bilan biodiversité des organisations », qui pourrait être le pendant du bilan carbone. Mais les freins restent nombreux, et en premier lieu la définition d’indicateurs pour mesurer les impacts des activités sur les écosystèmes… Les démarches restent aujourd’hui volontaires et souvent limitées aux auto-diagnostiques.
(1) Etude commanditée par l'Union européenne : "L'économie des écosystèmes et de la biodiversité". La version finale sera publiée courant 2010
Béatrice Héraud