« Say on Pay », c’est le titre générique d’une résolution déposée par les actionnaires désireux d’en savoir plus sur les systèmes de rémunération des dirigeants des entreprises dans lesquels ils sont présents. Cet appel à la transparence est motivé par le fait que les législations nationales n’exigent pas une communication exhaustive et claire sur les « packages » accordés au top management. En Suisse par exemple, la fondation Ethos a brandi cette résolution auprès de plusieurs grandes entreprises et a obtenu gain de cause. Sa dernière victoire concerne Novartis qui, un mois avant son assemblée générale, a accepté de rendre public son système de rémunération et de le soumettre au vote consultatif des actionnaires. « Une fois ce droit obtenu, les choses sérieuses commencent» explique Jean Laville, directeur adjoint de la fondation Ethos. « Si les assemblées générales enregistrent les mêmes plans de rémunération qu’avant, notre action n’aura pas grand sens. Nous devons déterminer un niveau de rémunération acceptable et faire partager notre vision aux autres actionnaires ! » La fondation Ethos défend d’ores et déjà trois idées sur les rémunérations des dirigeants : la part variable ne doit pas excéder 50 % du total, il doit y avoir un plafond implicite et des critères de performances différés dans le temps. En ce qui concerne la fixation d’un plafond à ne pas dépasser, l’exercice est difficile. « Si l'on n'applique cette règle au secteur pharmaceutique suisse où la rémunération moyenne fixe des dirigeants est de 2 millions d'euros, cela pourrait porter la rémunération totale du président de Novartis à 4 millions d’euros par an. En fixant un seuil de ce type, nous allons scandaliser à la fois les 99 % de la population qui trouve cela illégitime et les 0,1 % de concernés pour qui il est inadmissible de fixer des limites ! » analyse lucidement Jean Laville.
Dans ses recommandations de vote pour l’assemblée de Novartis le 26 février 2010, Ethos appelle en tous cas à voter contre la réélection du président du comité des rémunérations. Celui-ci « a joué un rôle très important dans l'élaboration d’un système qui ne respecte pas les bonnes pratiques internationales et permet au président de Novartis de toucher près de 29 millions d’euros par an » souligne Ethos.
Pas plus de 3,8 millions d’euros
« En termes de rémunérations, nous avons fixé le seuil maximal d’acceptation sociale à 240 fois le SMIC » a expliqué Pierre-Henri Leroy, qui dirige Proxinvest, conseil en exercice du droit de vote, lors d’un débat sur les rémunérations des dirigeants organisé à Paris le 28 janvier 2010. « C’est un peu arbitraire mais cela permet de donner une limite ! » Ses statistiques établies sur un échantillon de 70 grands patrons d’entreprises cotées de 8 pays européens auxquels il ajoute la Suisse, montrent que leur rémunération moyenne (hors part actions) est en ligne avec cet objectif qui avoisine les 3,8 millions d’euros par an. Dans le classement de Proxinvest, les Français affichent une moyenne de 2,3 millions d’euros mais les Suisses et les Espagnols sont bien au dessus avec une rémunération moyenne annuelle de 4,5 millions d’euros.
A quoi servent ces statistiques ? A faire prendre conscience aux actionnaires de l’importance de l’enjeu, explique la société de gestion Phitrust, spécialiste de l’activisme actionnarial sur les questions de gouvernance. « Les actionnaires doivent connaitre et comprendre le système de rémunération et l’approuver en assemblée générale » explique Luis de Lozada, directeur juridique de Phitrust Active Investors qui ajoute : « Il faut qu’ils soient convaincus de sa légitimité et de sa relation avec les performances de l’entreprise. »
Tensions sur les résolutions
Les relations actionnaires-entreprises sur les plans de rémunérations se tendent. Les résolutions concernant les stock options n’ont été adoptées qu’en moyenne avec 84 % des voix aux assemblées générales de 2009, ce qui s’apparente à un score de défiance dans cet univers. D’autres résolutions sont retirées à la hâte pour ne pas risquer de focaliser des votes négatifs. En 2009, la campagne de Phitrust sur les rémunérations des présidents non exécutifs du cac 40 a déclenché une opposition très forte de ceux qui étaient visés (voir article lié). En 2010, Phitrust a choisi de s’attaquer aux « packages » versés aux dirigeants qui prennent leur retraite. Elle s’intéresse particulièrement à Publicis dont le dirigeant, Maurice Levy, doit bientôt partir. « C’est la dernière fois cette année que les actionnaires peuvent s’opposer au plan qu’il a lancé en 2003 et qui devrait lui permettre de partir avec plus de 25 millions d’euros, soit 85 mois de salaires » explique Luis de Lozada. « C’est énorme et ça pourrait avoir des conséquences sur la santé économique de l’entreprise. De plus ce dispositif ne respecte pas les recommandations du code AFEP-MEDEF! »
Au delà des montants, quel type de performances récompensent ces rémunérations très élevées ? C’est la question posée par le Forum européen pour l’investissement responsable, Eurosif, dans son étude, publiée fin janvier. Elle met en exergue le fait que 29% seulement des 300 plus grandes entreprises européennes cotées examinées, ont mis en place un système de rémunération lié à des performances Environnementales, Sociales et de Gouvernance (ESG) et souligne que les objectifs fixés sont souvent trop faciles à atteindre. L’organisation a donc appelé les actionnaires à voter contre des plans de rémunération inacceptables et à définir des critères de rémunération sur des enjeux ESG. Matt Christensen, le directeur executif d’Eurosif conclue : “ Les experts s’accordent pour considérer que ces enjeux ont un impact déterminant sur la stabilité et la pérennité économique des entreprises à long terme, il serait donc cohérent qu’ils soient intégrés à la stratégie et dans les plans de rémunération ! ».