C'est devant le tribunal civil de La Haye, aux Pays-Bas, que deux paysans nigériens ont porté plainte contre le géant pétrolier Shell. L'issue de la bataille juridique qui s'est engagée est cependant encore bien incertaine. D'un côté, un paysan et un pêcheur originaires d'Oruma, un petit village situé dans le delta du Niger, région totalement dévastée à la suite d'une fuite d'un oléoduc en 2005, soutenus par l'association écologique néerlandaise Milieudefensie (les Amis de la Terre Pays-Bas) ; de l'autre, la filiale nigérienne de Shell et, c'est là le point juridique très important, la compagnie mère elle-même (la Royal Dutch Shell plc). Les dégâts occasionnés par la fuite de l'oléoduc ont été d'une telle ampleur, que les populations locales qui vivaient principalement de l'agriculture et de la pêche se sont retrouvés sans moyens de subsistance et sans eau potable. Alali Efanga, l'un des plaignants, explique sa situation dans une vidéo sur le site de l'ONG : « J'ai hérité d'un étang de mon père. Je vivais de la pêche. (...) Maintenant, je dois aller travailler dans la forêt pour 500 Naira par jour (3 euros). » Dans ce même reportage, sont exposés les cas de deux autres villages également défendus par l'ONG complètement dévastés par la pollution provoquée par Shell Nigeria : anciennes installations qui fuient, laissées à l'abandon. Le désarroi des populations locales est immense et leur seul espoir réside dans l'intervention de la justice à l'étranger. Comme l'explique Alali Efanga : « Je veux exposer mon cas aux Pays-Bas et que Shell reconnaisse sa responsabilité parce que nous savons qu' ici au Nigeria ce n'est pas possible. Le pays a trop d'intérêts dans la compagnie. »
Responsabilité juridique
De fait, si près de 500 cas de fuites ont été portés devant les tribunaux nigériens, quasiment aucun n'a abouti, la lenteur des tribunaux décourageant les plaignants qui ne peuvent supporter les frais d'avocats, quand la compagnie ne préfère pas débourser des millions de dollars pour éviter des procès embarrassants (voir article lié). Comme le résumait déjà en 2006 Prince Chima Williams, avocat de Head Legal Environmental Rights action (les Amis de la Terre Nigéria) : « Au Nigeria, obtenir la justice pour une communauté contre une multinationale relève des travaux d'Hercule. [...] Le système de justice au Nigeria est notoirement lent et inefficace, et ce jusqu'à ce que les riches et les puissants en aient besoin ».
Dans ces conditions, la décision de la Cour de La Haye a une importance capitale pour qu'enfin les populations victimes de la multinationale puissent obtenir des réparations.
Le premier nœud juridique consiste à décider si la compagnie Shell Nigéria dépend de la juridiction néerlandaise ou non. Si ce point est acquis, les cas des trois villages défendus par Milieudefensie pourront être jugés ici. Cela suppose d'établir la responsabilité de la compagnie mère basée aux Pays-Bas qui rejette bien évidemment toutes connections avec la compagnie nigérienne. « Il n'y a aucune raison de juger cette affaire aux Pays-Bas. L'affaire concerne des faits qui se sont produits au Nigeria et une société nigériane », clame André Romeyn, le porte-parole de la multinationale. De plus, Shell tente une fois de plus de faire passer ces cas de fuites pour des actes de sabotage. Au début des années 90 et d'après ces propres rapports annuels, Shell Nigeria reconnaissait que 75% des fuites (environ 250 par an...) étaient dues à des problèmes de corrosion et les 25 % restant, à des actes de sabotage. Aujourd'hui, le sabotage représenterait 60% des cas ! Sabotage ou non, rétorque l'ONG, la compagnie est responsable de ses installations. De son côté Shell minimise les désastres humains et écologiques, affirmant que la fuite de l’oléoduc n’a eu qu’un impact « limité » sur la nature. Par ailleurs, la compagnie accuse les villageois de les empêcher de réparer les fuites, ou affirme encore qu'ils sont responsables de l'état des champs -toujours imbibés de pétrole-étant donné que ce "sont eux qui les nettoient"... !
Pour l'heure, le tribunal civil de La Haye doit statuer le 30 décembre pour décider si l'affaire est de son ressort ou non.
D'autre part, une évaluation menée par le Pnue (Programme des Nations unies pour l'environnement) « pour analyser l'impact de la production pétrolière en termes de pollution sur les eaux du Delta du Niger dans la région d'Ogoni » pendant un an a été annoncée par l'Onu au mois de novembre. Bien que cette expertise (d'un montant de 9,5 millions de dollars) soit financée par les compagnies pétrolières elles-mêmes (Shell et Total notamment), et pose la question de son indépendance, la démarche est qualifiée de « positive » par Amnesty. A condition toutefois, pour que l’étude soit transparente, que les précédentes enquêtes sur le sujet soient également publiées.