Comment réguler la rémunération des dirigeants ? Un an après le début de la crise économique, et à quelques jours du G20, la question est plus que jamais au cœur des débats. Le rapport parlementaire remis en juillet dernier à l’Assemblée Nationale par le député Patrick Houillon en témoigne. Relatant des « abus inadmissibles » de la part de certains dirigeants, les conclusions du député UMP enjoignent les pouvoirs publics à s’emparer de cette problématique. En avril 2009, Christine Lagarde, ministre de l’Economie, et Brice Hortefeux, alors ministre du Travail, avaient réclamé au Medef et à l’Afep la création d’un « comité des sages », supposé veiller à « l'exigence d'exemplarité qui incombe aux dirigeants des entreprises.» Présidé par Claude Bébéar, ancien PDG et fondateur d’Axa, ce comité se concentrera donc sur les sociétés adhérentes au code Medef-Afep, « au cas où elles recourent massivement au chômage partiel ou à des plans sociaux de forte ampleur. » Un rôle jugé limité, notamment dans la mesure où les décisions des sages resteront a priori confidentielles.
Officialiser le montant des revenus des dirigeants
Or, la transparence est au cœur du débat. C’est en tout cas l’avis de l’association Entreprises et Progrès, qui regroupe une centaine de sociétés de toutes tailles. S’interrogeant sur les risques de rupture du lien social dans l’entreprise, l’association tente d’analyser les sources de tensions, et propose quelques éléments de réponse*. Premier constat, dans les entreprises où l’actionnariat est stable (de type familial par exemple), la rémunération des dirigeants est rarement remise en cause. En revanche, pour les entreprises dont l’actionnariat est trop diffus pour exercer un réél pouvoir de contrôle, les dérapages sont plus fréquents. Pour Vincent Prolongeau, président d’Entreprise et Progrès, « il faut dans ce cas accroître la transparence sur le niveau des rémunérations. Le sujet est trop tabou en France. Dans les entreprises anglo-saxonnes, qui publient officiellement ces chiffes, les niveaux de salaires des dirigeants sont compris et acceptés. » D’après l’association, l’accès des salariés à ce type d’informations aurait ainsi deux vertus. D’une part, lors de la négociation de son « package salarial » (salaire fixe, stock options, retraite-chapeau, parachutes dorés…), le futur manager « tempèrera ses prétentions », sachant que ses rémunérations seront connues de ses futurs collaborateurs. D’autre part, ces derniers seront motivés pour évoluer dans l’entreprise, avec l’espoir d’atteindre un niveau de revenus désormais connu. « Il ne faut plus que les dirigeants soient considérés comme une classe à part » , explique ainsi le président d’Entreprise et Progrès.
Concrètement, l’association préconise « l’information-collaboration » des salariés, en imaginant par exemple qu’un représentant du personnel siège au comité de rémunération, ou que la question des salaires des dirigeants soit mise à l’ordre du jour dans les comités d’entreprise. Autrement dit, créer un contre pouvoir au sein même de l’entreprise. « Une sorte de comité des sages interne ! Attribuer ce rôle à des membres extérieurs comme le font le MEDEF et l’AFEP n’a pour nous aucun sens. Si sagesse il y a, elle doit rester au sein de l’entreprise », dixit Vincent Prolongeau. Mais de là à accorder un droit de vote au CE, il y a tout de même un pas. La transparence n’est pas synonyme de pouvoir décisionnel...
La voie législative peut-elle être efficace ?
Si l’association stigmatise les dérives, en dénonçant par exemple les rémunérations injustifiées des présidents non exécutifs de conseil d’administration, elle n’en reste pas moins convaincue que la régulation doit venir de mécanismes internes. Hervé Gourio, délégué général d’Entreprise et Progrès, revient sur la crise qui avait secoué la direction de Vinci en 2006. « Pour moi, le départ d’Antoine Zacarias est l’illustration d’une correction interne efficace. Certains membres du conseil d’administration et de la direction générale ont jugé qu’il était avait dépassé les limites acceptables en matière de demande d’augmentation, et l’on contraint à quitter la présidence du groupe. Cela n’enlève rien au fait que la rémunération qu’il avait perçue jusque là était justifiée : il a joué un rôle historique en redressant Vinci après sa sortie de la Générale des Eaux. »
La solution doit-elle donc forcément émerger de l’entreprise ? Certains Etats misent pourtant sur une politique fiscale dissuasive pour éviter les excès. C’est le cas des Pays-Bas, qui ont récemment adopté une réglementation taxant les bonus et parachutes dorés jusqu’à 30% pour ceux dont les revenus annuels dépassent les 500 000 euros. (Voir article lié). Ce pourrait être le cas en France. D’après le journal La Tribune, le gouvernement plancherait en effet sur un alourdissement de la fiscalité sur les retraites-chapeau. Mais pour Hervé Gourio, « Il faut être clair, et cesser le bricolage. Si on trouve que certains gagnent trop, alors augmentons l’impôt sur le revenu ! Cette judiciarisation excessive est dévastatrice. Et cela devient un facteur de démotivation pour les dirigeants. Il faut vraiment trouver des mécanismes plus près du terrain. »
La bataille sur la moralisation des rémunérations et les règles de gouvernance est loin d’être apaisée. Un député UMP a proposé, fin mars, d’inscrire dans la loi le principe figurant dans le code éthique AFEP/MEDEF selon lequel « la rémunération doit correspondre à l'intérêt général de l'entreprise ». Reste à définir ce qu’est « l’intérêt général de l’entreprise » …
*Rapport publié le 15 septembre : «Rémunération des dirigeants : rupture du lien social » ?