« Traité de manière plus mâture, le développement durable devient désormais stratégique pour les entreprises ». Luc Laurentin, fondateur de Limelight consulting, voit dans la deuxième édition de l’Observatoire de la communication et du marketing responsables, toutes les raisons de se réjouir. Preuve en est selon lui : son étude* menée début septembre montre que 90% des entreprises affirment avoir une stratégie de développement durable contre 76% en 2008. Et pour celles qui avouent être à la traîne, ce ne serait qu’une question de temps. L’obligation prochaine pour les entreprises de plus de 500 salariés de produire un bilan social et environnemental, inscrite dans le « Grenelle 2 », n’y est peut-être pas étrangère… Le sujet devient si important que le comité de direction est aujourd’hui autant ou presque à l’initiative des actions de développement durable que le service spécifiquement dédié. Service d’ailleurs de plus en plus courant dans les entreprises, puisque 62% des interviewés déclarent en disposer contre 55% l’an dernier.
« Il y a deux ans, le développement durable était la jolie danseuse de la communication, aujourd’hui, il s’agit d’un sujet débattu au moins une fois par mois dans les comités de direction », confirme Fabio Brusa, responsable de la communication pour Nestlé Waters France. Et tous les services sont aujourd’hui sollicités, de la communication, aux RH en passant par les achats et le juridique. Les résultats se feraient donc sentir dans la communication et le développement de produits responsables: « Nous sommes passés d’une communication corporate faite de grandes déclarations généreuses à une communication plus axée produits, basée sur des preuves factuelles et donc plus efficace », estime ainsi Dominique Candellier, directrice communication et développement durable de l’Union des annonceurs (UDA). Exemple : La Poste qui communique sur son parc de vélos et de voitures électriques ou IBM qui présente ses solutions pour permettre aux entreprises de faire des économies d’énergie. Une « preuve de maturité », selon Luc Laurentin, rendue possible par le développement tout azimut de nouveaux produits ou services intégrants les enjeux de développement durable.
Et dans les faits ?
Même la crise n’aurait finalement aucun impact sur les stratégies de responsabilité sociale des entreprises (RSE). « Le développement durable est justement une réponse à la crise », s’enthousiasme Fabio Brusa. Jusqu’ici donc, tout irait bien. Pourtant, peut-on réduire la stratégie RSE au développement de produits et à un marketing plus « responsables » ? Certainement pas. Et c’est bien là les limites de l’étude, qui semble parfois confondre stratégie et communication. Car communiquer sur des produits verts et des éco-gestes est une chose, mais intégrer une politique développement durable à sa stratégie implique aussi des critères sociaux et de gouvernance en interne... Ainsi, les engagements des entreprises portent en grande majorité sur le pilier environnemental du DD : 77% affirment avoir intensifié leur engagement sur la question depuis un an, mais ils sont moins de 40% à l’avoir fait sur les aspects sociaux (parité, diversité, etc), sociétaux (partenariats avec ONG et associations) ou financiers (investissements responsables).
Et, lorsque l’on observe de plus près la pratique, on note que les déclarations d’intention ne font pas forcément l’objet d’un véritable suivi. Si 69% des entreprises interrogées affirment prendre en compte les impacts environnementaux de leurs actions de communication (et même 76% des entreprises cotées) notamment en choisissant des agences sensibles à la question, elles ne sont que 16% (27% pour les cotées) à avoir mis en place des indicateurs permanents sur le sujet et 14% à faire systématiquement un bilan carbone de leurs campagnes…Pour 1/5ème des répondants, il s’agit avant tout d’une question de moyens, mais pour 12 % cela ne se justifie tout simplement pas… Sans indicateurs fiables se pose pourtant la question de la crédibilité alors que les risques de greenwashing restent encore d’actualité…
Moins de dialogue avec les parties prenantes
Si elles comptent sur leur service juridique pour écarter la menace ou peut-être aussi sur les nouvelles instances de régulation de la publicité, désormais ouvertes aux parties prenantes, elles semblent aussi avoir oublié l’importance du dialogue direct avec les ONG et les associations de consommateurs, qui s’étaient pourtant imposés comme interlocuteurs privilégiés ces dernières années. « Avant, elles étaient en phase de recherche, de réflexion, elles sont aujourd’hui passées à l’étape suivante », veut croire Luc Laurentin. Pas si sûr, rétorque Jean-Pierre Siquier, qui porte la double casquette de président de l’agence de communication Ligaris et de vice-président de la Fondation Nicolas Hulot. « On peut se dire que les entreprises ont déjà travaillé avec ces parties prenantes et qu’elles connaissent désormais leurs positions mais il y a plus de chance qu’elles pensent surtout que la discussion ne donne pas grand-chose…Au moment où l’effet Grenelle s’essouffle, peut-être ont-elles également peur d’aller au contact des ONG et associations, de prendre des coups. » Certes, mais difficile tout de même d’imaginer que les entreprises ont acquis tant d’expertise en matière de développement durable qu’elles peuvent désormais se passer de discuter avec leurs contradicteurs…d’autant qu’il s’agit là d’une dimension essentielle de la responsabilité sociale des entreprises.
*étude on-line réalisée du 18 août au 4 septembre 2009 par Limelight consulting pour l’association des agences conseil en communication (AACC), le Syntec conseil relations publiques, l’association pour la communication et l’information sur le développement durable (ACIDD), l’Union des annonceurs (UDA) avec le soutien de l’Ademe. 129 entreprises répondantes dans tous les secteurs (avec une prédominance des banques-assurances et services) dont 27 % cotées.