C'est à la Banque mondiale, à Washington, que Henri Poupart-Lafarge a démarré en 1992 sa carrière, avant de rejoindre deux ans plus tard le ministère de l'Economie et des Finances à la direction du Trésor, puis au cabinet du ministre de l'Economie et des Finances. Cet X-Ponts, également diplômé du MIT, a rejoint Alstom en 1998, où il a successivement été en charge des relations investisseurs, du contrôle de gestion puis, en 2000 de la direction financière du secteur Transmission et Distribution, cédé début 2004. Il est directeur financier d'Alstom (18,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur l'exercice clos en mars 2009) depuis l'été 2004. A la tête d'équipes totalisant pas moins de 3 600 personnes, Henri Poupart-Lafarge a construit depuis cinq ans une fonction finance qui a su mettre en oeuvre le redressement d'Alstom, puis accompagner son développement. Mais, en temps de crise, les financiers n'échappent pas, eux non plus, aux efforts de productivité !
Voici la seconde et dernière partie de l'interview.
Quelle est votre stratégie de financement ?
Les cautions bancaires représentant actuellement 14 milliards d'euros, nous considérons de ce fait que nous utilisons suffisamment le bilan des banques. Dès le départ, j'ai donc fait reposer notre stratégie financière essentiellement sur les marchés. Nous avons ainsi un emprunt obligataire que nous avons commencé à rembourser (il ne nous reste plus que 300 millions d'euros sur un montant initial d'un milliard) et un crédit syndiqué de 1 milliard mais qui n'est pas tiré. Comme nous n'avons pas du tout besoin de trésorerie pour NOS opérations - nous avons près de 3 milliards de cash -, nous n'avons pas besoin de lever des fonds supplémentaires - du moins tant que nous ne procédons pas à une acquisition importante.
Ce système de cautions bancaires a-t-il été affecté par la crise financière ces derniers mois ?
Non, et j'en ai été plutôt heureusement surpris. Nous avons une enveloppe confirmée par les banques de 8 milliards d'euros, sur laquelle nous ne tirons toutefois que 6 milliards. Les 8 milliards restants font l'objet de négociations bilatérales en fonction des besoins. Je sais donc que j'ai en permanence 2 milliards d'engagements bancaires immédiatement disponibles en cas de gros problème. Malgré la crise, nous avons réussi à maintenir ces 2 milliards. Nous avons tiré sur ces lignes, puis nous les avons reconstituées. Sur la vingtaine de banques qui composent notre pool bancaire, seules deux ou trois vont à mon sens se désengager pour des raisons qui leur sont propres lors des prochaines négociations. Négociations au cours desquelles j'espère d'ailleurs obtenir des conditions meilleures que par le passé, car Bâle 2 améliore le traitement des cautions en termes de fonds propres pour les banques. Il faudra surmonter la réticence des banques à prendre des risques les unes sur les autres !
Vous disposez d'une trésorerie importante. La crise a-t-elle modifié votre approche en la matière ?
A l'été 2007, nous avions un peu d'argent (quelques dizaines de millions d'euros) placé dans des sicav monétaires. Nous avons tout retiré pour investir en direct dans des bons de trésorerie bancaires. Mais après la faillite de Lehman, nous nous sommes rendu compte que certains de ces bons de trésorerie supposés liquides ne l'étaient pas. Quand nous demandions aux banques de nous rembourser nos bons, elles répondaient qu'il n'y avait pas de marché, et que nous devions les garder jusqu'à l'échéance. Du coup nous avons placé une partie de notre trésorerie en bons du Trésor et en bons de la Caisse des dépôts. Nous avons également réduit le nombre de nos contreparties bancaires, en nous recentrant notamment sur les banques françaises, dont la pérennité nous semblait plus assurée. Nous travaillons actuellement avec une dizaine de contreparties au lieu de près de 30 établissements auparavant. Le paradoxe, c'est que les banques qui ont survécu se retrouvent dans un marché concurrentiel plus restreint et donc en situation commerciale nettement plus favorable. La hausse des spreads, conjuguée au caractère très pentu de la courbe des taux, entraîne au final des coûts de portage historiquement très élevés pour les entreprises. Prêter de l'argent aux banques ne rapporte en effet actuellement qu'environ 0,8 % alors que pour emprunter, il faut payer un coût de 6 ou 7 %.
Avez-vous modifié la gestion de la fonction finance avec la crise ?
En juin 2008, nous avons lancé un nouveau thème, baptisé «finance efficiency». L'objectif est d'améliorer l'efficacité de la fonction finance, en termes de transactions comme d'organisation, car nos effectifs avaient beaucoup augmenté. Nous passons notre temps à dire aux opérationnels qu'ils doivent dépenser moins d'argent, il est normal que la fonction finance se livre au même exercice ! Nous cherchons donc à optimiser cette dernière en nous appuyant sur de nouveaux outils. J'ai notamment orienté nos efforts sur l'efficacité de la production des comptes. Il y a encore beaucoup de débauche d'énergie dans la fonction finance, et la productivité doit être améliorée. Nous avons également modifié l'organisation de la branche transports. Avant, les financiers étaient répartis par lignes de produits et par sites géographiques. Dorénavant, les financiers «géographiques» gèrent également les lignes de produit et des analyses sont effectuées au niveau central sur les lignes de produits. Pour la première fois, nous nous sommes détachés de l'organisation managériale pour gagner en efficacité. Cela nous a permis de réduire les effectifs de 20 %.
Quels sont vos ratios clés ?
Je suis essentiellement trois indicateurs clés. Le plus important, c'est l'évolution de la marge dans le carnet de commandes. Ce ratio combine la marge entrante (les nouvelles commandes), la marge sortante (les commandes exécutées) et un facteur d'ajustement que je regarde tous les mois, qui est l'évolution de la marge des commandes dans le carnet et qui permet de voir si un contrat dérive. Le deuxième indicateur concerne la marge opérationnelle, qui permet de suivre les frais, et de savoir si les coûts sont bien tenus. Enfin, le dernier indicateur suivi de près est bien évidemment le cash. Les variations de BFR peuvent être importantes, il est donc crucial de bien comprendre d'où elles viennent. Or dans 99 % des cas, les retards de cash sur un projet sont liés à un client mécontent, qui par conséquent ne paie pas. Dans nos activités, le cash n'est donc pas uniquement un indicateur de trésorerie ou de liquidité mais avant tout un signal fort de la performance du groupe.
Quels sont vos enjeux pour l'année ?
En premier lieu, il faut adapter le groupe au nouveau contexte macroéconomique. Nous avons connu cinq à six ans de croissance très forte, il est clair qu'il en sera autrement dans les années à venir. Il faut donc adapter nos coûts de structure, hiérarchiser nos investissements tout en maintenant notre capacité de recherche, et renforcer nos process pour maintenir notre rigueur dans les appels d'offre. L'objectif est évidemment de sortir plus forts de cette crise. D'un point de vue stratégique, nous réfléchissons à notre avenir dans le renouvelable dont l'importance au sein du mixte électrique est grandissante. A titre personnel, je vais également suivre de près le dossier Areva Transmission et Distribution (T&D), ancienne filiale d'Alstom rachetée par Areva et qui vient d'être à nouveau mise en vente. La valorisation n'est pas aisée dans le contexte de marché actuel. Il faut aussi voir quels seront les leviers de créations de valeur. S'agissant de la fonction finance, beaucoup reste à faire pour améliorer son efficacité et accroître sa contribution aux opérations du groupe. L'année qui commence va être passionnante !
Propos recueillis par Valérie Nau