(AOF / Funds) - "Alors que le cycle mondial s'affirme, les prix des matières premières approchent des niveaux atteints en 2008 et les ont dépassés dans certains cas, comme dans celui du cuivre. Compte tenu de cette évolution en amont des prix industriels, les conséquences sur les prix de détail, déjà bien visibles chez les émergents, commencent à inquiéter. Les plus avancés dans la reprise, les pays émergents, sont les plus exposés à ces tensions sur les prix des matières premières", note Edmond de Rothschild Asset Management.
"Avec une forte croissance de leur demande, ils sont à l'origine d'une première vague de hausses des cours des matières premières industrielles. D'autres facteurs, comme le climat, ont joué en 2010 un rôle déterminant dans la dynamique des prix des produits agricoles en réduisant l'offre."
"Enfin, associées à des taux d'intérêt très bas, les anticipations de la demande de la part des investisseurs viennent augmenter la demande physique (directement ou par le biais des ETF) sur l'ensemble des produits. Quelle qu'en soient les origines et même si elle s'atténue, la hausse des matières premières a été suffisamment forte et généralisée au cours des derniers mois pour que l'on s'interroge sur ses conséquences. Les salaires peuvent constituer un relais de la hausse initiale vers les coûts des entreprises, provoquant le début d'une spirale très pernicieuse. Les différents épisodes inflationnistes des dernières décennies en témoignent."
"Les pays développés sont loin de connaître ces inquiétudes alors que les craintes d'une phase de déflation n'ont pas encore disparu. Pourtant, la hausse annuelle de l'indice des prix de détail dans la zone euro a atteint 2,4% (après 2,2% en décembre), son plus haut sur plus de deux ans. Ce qui soulève la question de la permanence de la phase actuelle de modération des prix."
"Qu'en est-il ? La question n'a pas qu'un intérêt théorique. Une reprise de l'inflation conduirait inévitablement les banques centrales à durcir leurs politiques (taux d'intérêt et liquidités). Alors que les systèmes bancaires n'ont pas encore retrouvé une situation pleinement assainie, une hausse des taux directeurs comporterait des risques d'ordre économique. De même, l'apparition d'un climat de méfiance des investisseurs à l'égard des obligations d'Etat tandis que les rémunérations réelles sont faibles ne manquerait pas de compliquer le financement des déficits publics."
"Depuis le début des années quatre-vingt, l'économie mondiale a été dans son ensemble marquée par une modération de l'évolution des prix et par une réduction de l'ampleur de ses fluctuations, à l'exception notable de 2008-2009. Après le deuxième choc pétrolier (1979), trois facteurs principaux ont été à l'oeuvre."
"L'orthodoxie de la politique menée par les banques centrales (initiée durant la présidence de Paul Volcker à la Réserve fédérale mais poursuivie aussi par la BCE à partir de sa création) a joué un rôle majeur, même si son degré de rigueur a pu varier dans le temps. La désinflation est également liée aux gains rapides en efficacité et en productivité des facteurs de production (impact de l'évolution technologique et pas seulement de celle des technologies de l'information). Un troisième facteur désinflationniste réside dans le poids grandissant de la Chine (et plus largement du monde émergent) dans les échanges."
"Les coûts très faibles (amplifiés par une monnaie chinoise sous-évaluée) ont pesé sur le prix des biens vendus dans le monde développé. Qui plus est, les gains de productivité ont touché l'industrie chinoise, comme d'autres, l'aidant à maintenir ses prix de vente malgré la hausse régulière des salaires. La hausse générale des matières premières (industrielles, énergétiques et agricoles) en 2010 ainsi que quelques manifestations sporadiques (Grande-Bretagne avec 3,7% en rythme annuel en décembre dernier) ou plus systématiques (pays émergents, en particulier la Chine) suscitent des questions sur la fin de cette période et sur un possible changement de tendance, plus préoccupant, dans la future tendance des prix."
"Les changements de structure de l'économie mondiale représentent un risque pour le schéma actuel. Le monde émergent peut-il rester un facteur important de désinflation alors qu'il est devenu par sa taille et sa croissance même un facteur de hausse des prix et que des tensions apparaissent dans la structure de ses coûts ? La hausse des devises de ces pays vis-à-vis de celles du monde développé aggrave cet effet sur le prix des biens importés."
"L'inflation est avant tout un phénomène monétaire. La monnaie étant pour l'essentiel la contrepartie d'une dette, le crédit est historiquement sa source première. Les liquidités exceptionnellement abondantes que les banques centrales ont créées pour contenir les effets de la crise financière peuvent-elles conduire à une tension sur les prix ? La question est souvent posée, mais tant que ces liquidités ne sont pas transformées en crédit, elles n'alimentent pas une création monétaire de nature inflationniste qui jouerait un rôle d'accélérateur de la croissance et des tensions sur les coûts et sur les prix."
"A cet égard, en dépit d'un gonflement exceptionnel des bilans des banques centrales, aucun effet ne peut être relevé sur le plan des agrégats monétaires. Aux Etats-Unis, malgré les achats de la Réserve fédérale sur le marché obligataire, la masse monétaire M2 a connu en décembre une croissance en rythme annuel de 3,4%. L'Europe est dans une situation voisine (M3 en hausse de 1,9% sur un an en décembre). Dans les deux cas, l'expansion du crédit se fait à un rythme très lent car la demande reste faible, qu'il s'agisse de celle des entreprises ou de celle des ménages. Les développements sur le plan monétaire ne font peser aucun risque sur les prix."
"Mis à part les aspects monétaires, les mécanismes de l'inflation dépendent de l'évolution des coûts associés au cycle de fabrication d'un bien. L'évolution de la productivité du travail (le nombre d'unités produites par heure travaillée) est un élément essentiel, mais la productivité des processus industriels a aussi son importance. Réduire la consommation d'un produit dont le prix est en forte hausse ou lui substituer un produit moins cher pour une fabrication donnée modifie l'incidence de l'évolution des coûts. Les entreprises sont rompues à cet exercice, qu'elles mènent avec succès depuis des années. Selon l'ampleur des tensions, le délai d'ajustement peut toutefois être une source de difficulté temporaire."
"Le problème de la productivité dans les services doit être posé, compte tenu de leur poids dans l'activité d'un pays développé (souvent autour de 70%, voire plus). La définir et la mesurer est délicat, mais cela ne signifie pas que la productivité ne s'améliore pas. Le transport aérien dit low cost est un bon exemple d'une baisse sensible du prix d'un service à travers une organisation différente de celle des transporteurs traditionnels. Le prix des télécommunications a, de son côté, baissé grâce à l'innovation technologique."
"Pour des raisons de structure économique, la dynamique de l'évolution des prix présente deux grandes différences par rapport à celle des pays émergents. La valeur ajoutée des entreprises y est plus élevée, comparée au coût des matières premières (les produits sont plus élaborés) et la structure des indices de prix à la consommation donne une place plus réduite aux prix alimentaires et une place modeste à l'énergie. D'un point de vue plus fondamental encore, le désendettement à venir (ménages et Etats) mettra un frein à la croissance du crédit et le risque d'une inflation d'origine monétaire paraît à ce jour très modéré."
"Les influences externes (tempérées ou non par le change en dehors de la zone dollar) de la hausse des prix des matières premières dépendent de l'attitude des entreprises. Choisiront-elles de répercuter dans leurs prix de vente la hausse de leurs coûts ? Dans quelle proportion ? La réponse est moins comptable que stratégique. Elle dépend à la fois des gains de productivité, du pricing power de l'entreprise et de sa position sur le marché."
"Ne pas augmenter ses prix peut être un argument vis-à-vis de ses clients dans une stratégie de maintien ou de conquête de parts de marché, même si c'est au détriment de ses marges. De toute façon, les acheteurs ne se déterminent pas nécessairement sur la base du seul prix de vente. Selon le bien ou le service, bien d'autres aspects (qualité, différentiation, innovation) interviennent, ce qui laisse à une entreprise une marge de manoeuvre significative."
"Avec le déclin des effets déflationnistes de la récession (la hausse des loyers a repris aux Etats-Unis), la hausse des indices de prix hors énergie et alimentation va reprendre de la hauteur au cours de l'année par rapport à son rythme de 2010 (0,8% aux Etats-Unis et 1,1% dans la zone euro, hors énergie et alimentation). Cette accélération sera très modérée et ne devrait pas marquer le début d'un cycle inflationniste. L'activité économique reste en deçà de son potentiel, un contexte peu favorable au développement de tensions importantes sur les prix, même en cas de hausse des prix des matières premières. Le cas de la Grande-Bretagne est particulier et reflète les conséquences de la baisse de la livre."
"Il reste que les indices d'ensemble vont connaître une accélération plus forte que celle du rythme sous-jacent des prix, du fait de la hausse du prix de l'énergie et de celle des produits alimentaires (respectivement 10% et 15,7% de l'indice aux Etats-Unis). Pour cette dernière catégorie, il ne faut toutefois pas négliger que le coût direct des matières premières n'est qu'une fraction (12% en moyenne pour une grande société) du prix du produit final. De fait, à l'échelle d'une économie développée, les matières premières représentent très peu de la structure des coûts et c'est le coût du travail qui peut être la vraie source de difficultés (entre 70 et 80% des coûts des entreprises). Pour le moment, la stabilité caractérise les coûts unitaires salariaux (en baisse de 0,6% au dernier trimestre 2010 aux Etats-Unis) et la menace d'une transmission de caractère inflationniste apparaît très limitée."