Dans le village de Zhong Bao, à une encablure des trois gorges, les habitants vivent dans un complet dénuement. Leur seul bien : une maison qui menace aujourd’hui de s’effondrer. "Quand on vide le réservoir du barrage ça fait bouger ma maison, explique Guo Cheng Xin l’un des habitants. Ca provoque des ultrasons et les vitres tremblent. Il y a des fissures partout".
Après plus de dix ans de travaux, le barrage est aujourd’hui complètement opérationnel. Il est le fer de lance d’une vaste politique de développement des énergies hydroélectriques en Chine. De ses 26 turbines sortent 10% de l’électricité chinoise. Mais à quel prix ? 1 million et demi de personnes ont été déplacées, des berges écroulées, un écosystème totalement chamboulé et plus de 18 milliards d’euros engloutis.
Le barrage de Xiaowan fait polémique
"On essaye d’éviter les dégâts sur l’environnement au maximum, mais si on ne peut pas les éviter, on fait tout pour limiter les problèmes, explique du bout des lèvres Cao Guang Jing, le Vice-président de la société de Construction des Trois Gorges. Et si vraiment les dégâts sont incontournables, alors on verse des indemnités", admet-il prosaïquement. Les spécialistes sont en effet inquiets de voir un tel ouvrage accentuer la fragilité des sols, provoquant de nombreux glissements de terrain pendant la saison des pluies. Même si la Chine affirme le contraire, la plupart des experts s’accordent à dire que cet ouvrage est un véritable danger pour la région du fleuve bleu.
Un peu plus au sud, dans la province du Yunnan, c’est le barrage de Xiaowan qui fait polémique. Cette construction de près de 300 mètres de hauteur barre le fleuve Lancang, le nom chinois du Mékong. D’un coût total estimé à 2,7 milliards de dollars, il sera le deuxième plus grand projet hydroélectrique de Chine. Cette fois ce sont plus de 30 000 personnes qui ont du être déplacées avant le mise en service du barrage prévue en 2012. Au total, huit barrages hydroélectriques seront installés sur le Mékong.
Des constructions qui provoquent aujourd’hui l’ire des pays voisins. Le Mékong qui s’étend sur 4800 kilomètres du plateau du Tibet au Vietnam irrigue en effet plus de 60 millions de personnes. La polémique est montée d’un cran ces derniers mois en raison d’une terrible sécheresse. Pas une goutte de pluie n’est tombée depuis trois mois dans les régions du Triangle d’Or entre la Chine, le Laos et la Birmanie. Dans certaines provinces chinoises, c’est la pire sécheresse depuis un siècle.
Résultat, le fleuve mythique connaît l’un de ses plus bas niveaux depuis 50 ans. Une réunion d’urgence a rassemblé début avril les six pays riverains du Mékong. Les huit barrages chinois ont été pointés du doigt avec à l’appui un rapport des Nations unies estimant qu’ils « constituent la plus grosse menace pour le fleuve et risquent de causer une baisse de la qualité de l’eau et une perte de biodiversité ». Les experts accablent la Chine qui a balayé ces critiques d’un revers de main. Selon Song Tao, le Vice-ministre chinois des Affaires étrangères, les barrages permettent au contraire « un meilleur contrôle des crues et décrues du fleuve ».
Etre éligible au MDP?
Si la Chine est aussi susceptible sur ses projets c’est qu’elle a beaucoup misé sur l’hydroélectricité. Quatorze nouveaux projets de barrages sont à l’étude en Chine. Le pays espère ainsi éviter l’émission de 200 millions de tonnes de CO2 et doubler la part de ses énergies renouvelables qui pourraient atteindre 15% de son mixe énergétique d’ici 2020.
Mais une autre raison, moins avouable, pourrait expliquer cette obstination chinoise. Des défenseurs de l’environnement d’International Rivers ont récemment accusé Pékin de multiplier les projets hydroélectriques dans le seul but d’être éligible au "Mécanisme de développement propre" (MDP) issu du protocole de Kyoto. Ce mécanisme devait permettre de stimuler l'investissement dans les énergies renouvelables dans les pays en développement et faciliter les transferts de technologies entre le Nord et le Sud.
Selon International Rivers, la Chine abuse des MDP pour financer à bon compte ses projets de barrages parfois dramatiques pour l’environnement. Selon eux, les projets hydroélectriques constituent un quart des projets éligibles au MDP et, parmi eux, 67%, soit quelque 700 projets, se trouvent sur le continent chinois. Pour Patrick Mac Cully, le directeur d’International Rivers, cité par le quotidien hongkongais South China Morning Post, "le problème est sérieux. Les barrages sont les plus importants bénéficiaires des MDP. Mais la plupart d’entre eux auraient de toute façon été construits avec ou sans crédit carbone. Ce sont donc de faux projets".
Pour la Chine, cela représente une manne financière considérable. On estime que plus de la moitié des capitaux générés par les MDP d'ici à 2012, date à laquelle expire le protocole, devrait lui revenir. Soit environ 10 milliards d'euros.