Hourra, crient les industriels du secteur. Les biocarburants sont bons pour l’environnement ! Vive les biocarburants ! En fait l’Ademe souligne que les jus de betterave, de colza ou de canne sont moins nocifs pour le climat que leur cousin fossile, le pétrole. 60 à 70% d’émissions de gaz à effet de serre en moins pour les biodiesels, 50 à 65% pour les bioéthanols. C’est toujours encourageant.
Sauf pour les ONG qui pointent du doigt une ligne du rapport. « Lorsque le développement de cultures énergétiques aboutit, directement ou indirectement, à la disparition de prairies, de zones humides, ou de forêts primaires, le bilan de gaz à effet de serre des biocarburants peut s’avérer négatif. » En clair, lorsqu’un agriculteur transforme un hectare de forêt ou de prairie en surface cultivée, il envoie vers l’atmosphère des kilos de CO2 jusque là retenus dans la végétation. Et il oblige parfois les habitants à aller planter leurs choux ailleurs. C’est l’effet « changement d’affectation des sols », CAS pour les intimes. Un os rédhibitoire pour les ONG. Une broutille pour les industriels. Bataille de points de vue.
Pierre Perbos, administrateur du Réseau Action Climat et spécialisé dans les transports
Terra eco : Ce rapport est-il pour vous une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
P.P. : Il y a un point positif dans ce rapport. Pour la première fois depuis toujours, l’Ademe admet l’impact du changement d’affectation des sols. Notamment le CAS indirect. En France par exemple, si vous utilisez de l’huile de colza pour faire de l’agro-carburant, vous serez obligé d’importer de l’huile de palme pour la consommation alimentaire. Une huile de palme qui peut avoir été produite en Indonésie au prix de la déforestation ! Pourtant, pendant longtemps l’Ademe a soutenu que les agro-carburants n’avaient rien à voir avec cette histoire de CAS indirecte. Nous avons tellement hurlé qu’elle n’a pas pu tenir sa position. Dans ce rapport, elle admet même que l’impact du CAS peut parfois inverser le bilan environnemental du biocarburant. C’est le cas en Indonésie par exemple où l’agro-carburant devient non plus réducteur mais producteur de gaz à effet de serre. Dans son rapport, l’Ademe est honnête. Elle va même jusqu’à mentionner sur chaque graphique et haque courbe que le bilan est « hors impact CAS ». Le problème, c’est qu’elle s’arrête là.
T.E. : Qu’aurait-elle pu faire ?
P.P. : Elle aurait pu mesurer l’impact du CAS plutôt que de rester dans la théorie. Les statistiques douanières existent. Grâce à elles, d’une année à l’autre, on peut voir les importations massives de produits agricoles. Mais l’Ademe n’a pas voulu demander à ses consultants de calculer la provenances des oléagineux. Or, ces calculs sont possibles !
T.E. : L’Ademe dit pourtant qu’ils sont complexes...
P.P. : J’ai eu récemment ce débat avec une personne de l’Agence qui me soutenait que ce n’était pas si simple, qu’il était difficile de savoir comment l’huile importée était utilisée. C’est vrai. Quand nous, au RAC, nous allons voir SofiProtéol (acteur de la filière des huiles végétales) pour avoir ces infos, on nous les refuse. Mais l’Ademe a le pouvoir de demander ces infos aux industriels ! En fait l’Ademe continue de jouer la montre. Pour moi, quand la même étude omet des éléments qui, trois paragraphes plus loin, sont considérés comme fondamentaux, elle fait preuve d’une ambiguïté qui frise la malhonnêteté. Le problème c’est que les industriels vont utiliser ces chiffres en oubliant les parenthèses qui précisent « hors impact CAS ». L’Ademe aurait mieux fait de s’abstenir.
T.E. : Demandez-vous l’abandon de la filière biocarburant ?
P.P. : Produire des biocarburants dont l’intérêt énergétique est – au mieux – douteux pour ensuite importer des matières premières n’a aucun sens. Au lieu de ça, la France ferait mieux de faire du bio. Ce sont des produits que le marché réclame et ça permettrait à la France d’embrasser un modèle économiquement rentable et écologiquement soutenable. Ou investir davantage dans des technologies dont on sait qu’elles réduisent les émissions liées aux transports comme les technologies stop and start ou la récupération d’énergie au freinage. Sauf qu’aujourd’hui, elle préfère dépenser des centaines de millions d’euros pour développer des technologies qui n’ont aucun intérêt. Elle est tétanisée dans un système productiviste depuis des années. Et il n’y pas que les écolos qui le disent !
Alain Jeanroy, directeur général de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB)
Terra eco : Ce rapport est-il pour vous une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
A.J. : C’est la confirmation de ce qu’on disait depuis un certain temps. A croire qu’en France, on aime faire les choses deux ou trois fois ! L’Ademe avait déjà rendu une première étude en 2002 puis la communauté européenne en 2005 ou 2006. Et les conclusions étaient déjà les mêmes. Le Grenelle a décidé de revisiter cette affaire sous la pression de gens qui doutaient du bienfait environnemental des biocarburants. Il est désormais confirmé. Et le rapport va même plus loin en montrant l’excellent bilan énergétique des biocarburants. Ils produisent en fait deux fois plus d’énergie qu’ils n’en consomment. C’est très positif. Enfin, ces biocarburants permettent aussi de créer des usines, des emplois et de payer des taxes à l’État. 1 milliard d’euros ont déjà été investis en France dans des usines de production.
T.E. : Selon les ONG, l’Ademe reconnaît surtout l’impact du changement d’affectation des sols...
A.J. : Quand on parle de CAS, il faut distinguer deux choses. Il y a le CAS direct (conversion d’une surface non cultivée) et indirect (conversion de terres auparavant dédiées à la culture vivrière). Le rapport de l’Ademe nous exonère de tout impact sur le CAS direct en France. Il faut être clair : nous n’avons absolument pas l’intention d’aller retourner les sols de la forêt de Compiègne pour faire du bioéthanol !
T.E. : Et le CAS indirect ?
A.J. : C’est un phénomène plus compliqué. L’Ademe dit qu’elle ne dispose pas de modélisations pour l’appréhender. Et beaucoup de gens ne comprennent pas vraiment les tenants et les aboutissants de l’affaire. Quand on parle de CAS indirect, nous parlons en fait de quelques pourcentages de terres en Europe. Ça ne peut pas jouer véritablement.
T.E. : Mais il n’y a pas que l’Europe.... il y a aussi l’Indonésie.
A.J. : Nous ne sommes pas responsables de la politique pratiquée dans les autres pays. Et je vous rappelle qu’à la Confédération générale des planteurs de betteraves, nous faisons du bioéthanol. L’huile de palme indonésienne sert à faire du biodiesel. Je ne suis pas compétent pour parler du problème indonésien. Certes, nous importons de l’éthanol brésilien. Mais nous ne détruisons pas la forêt tropicale ! Et puis au Brésil, la canne à sucre ne représente que 5 à 10 % de la surface agricole utile. Ça ne peut pas avoir de conséquences majeures. En Europe c’est aussi raisonnable. Quand on aura atteint l’objectif de 10% de biocarburants dans les essences ou le gazole, on utilisera 7% des surfaces. Et nous n’avons pas l’intention d’aller au delà. Il ne s’agit d’augmenter la part de biocarburants à 20, 30%. On n’a pas pour objectif de remplacer les carburants fossiles. Mais dans une situation de pollution automobile comme la nôtre, l’utilisation du biocarburant à 10, 15% peut être une des solutions.