En Allemagne, la quinzaine « Climat et finance » mise sur pied par Berlin fait un pari pragmatique : d’après des chiffres cités par le Ministère de l’environnement, les investissements nécessaires à la lutte contre le réchauffement s’élèveront à 400 milliards d’euros d’ici 2020. Parallèlement, l’épargne des allemands devraiyt s’élever dans cette période à…4000 milliards d’euros. « Il s’agit alors d’orienter ce flux financier dans la bonne direction », résume Norbert Röttgen, le nouveau Ministre de l’environnement (CDU) lors de son discours d’ouverture à Francfort. 36 institutions bancaires ont répondu présentes à l’appel du Ministère, en organisant dans toute l’Allemagne des évènements chargés de démontrer la pertinence climatique des produits financiers ISR.
Ce faisant, le nouveau ministre de l’environnement entend profiter des évolutions de l’opinion publique sur le sujet, puisqu’un sondage conduit en septembre 2009 par l’organisation Finanz-Forum Klimawandel (Forum financier en faveur du climat) montre que plus de la moitié des épargnants allemands estiment nécessaire que leurs institutions bancaires agissent en faveur du climat. Ils déplorent en revanche le manque d’information et de visibilité sur l’impact carbone des produits financiers, conventionnels ou non.
L’agence berlinoise Adelphi veut apporter un début de réponse : « Les placements financiers ISR permettent une réduction moyenne de GES de 42% par rapport aux produits conventionnels, et ce, pour un rendement similaire », relève Walter Kahlenborn, venu présenter les derniers résultats d’une étude sur la pertinence climatique des produits financiers ISR menée par son agence. « Ainsi, une somme de 10 000 euros placées dans des produits conventionnels occasionne en moyenne 4,5 tonnes de GES, soit près de 2 tonnes de plus que des produits ISR ».
La discussion menée par les acteurs traditionnels de la finance allemande montre qu’ils assimilent essentiellement la finance ISR au financement des technologies environnementales et celui, plus général, du secteur des énergies renouvelables. De fait, l’industrie des technologies vertes allemandes s’avère bien implantée puisqu’elle exporte des biens d’une valeur de 12,8 milliards d’euros. Quant à Berlin, il y voit avant tout un moyen de consolider un secteur qui non seulement résiste bien à la crise actuelle, mais se trouve être générateur d’emplois.
Quid du financement d’activités émettrices ?
« Il est certes satisfaisant de voir les acteurs de la finance conventionnelle se tourner vers les produits ISR. Mais que faites-vous de vos produits qui continuent de financer des activités émettrices ? » En interpellant ainsi directement des institutions aussi conventionnelles que la Deutsche Bank, Stefan Rostock, de l’ONG Germanwatch spécialisée sur les questions climat, dénonce les mauvaises pratiques, au-delà des discours de bonnes intentions. Frank Niehage, président-directeur de la banque suisse Sarasin, se fait même un plaisir à mettre les points sur les « i » : « Je suis ravi d’entendre que la Deutsche Bank, première banque commerciale allemande, investit six milliards d’euros dans la finance ISR. Seulement, la banque Sarasin, bien plus modeste, investit, elle, plus de 100 milliards d’euros en produits ISR ! ».
Remise en question du secteur bancaire
Thomas Jorberg, membre de la direction de la GLS Bank, la doyenne des banques éthiques allemandes, ne manque pas non plus de rappeler que la discussion va bien au-delà de la vente de produits ISR par les banques. « Il ne s’agit pas seulement d’offrir quelques fonds ISR. Non, il s’agit d’une remise en questions de pratiques commerciales jusque-là tolérées, voire forcées. Et ce sont les investisseurs privés, échaudés par le spectacle offert par les acteurs de la finance traditionnelle, qui en sont le moteur. »
Et Frank Niehage de renchérir : « Chez nous, les produits ISR ne sont pas l’exception, mais bien les produits conventionnels. De plus, nous avons structuré toute l’organisation de notre institution en fonction des paradigmes du développement durable, y compris l’aspect social ». Le nouveau ministre de l’environnement avait-il prévu un tel tournant dans le débat, qui va bien au-delà du parti pris pragmatique du départ ? Au final, il fait apparaître que la finance conventionnelle a elle aussi un rôle crucial à jouer dans les questions climatiques… à condition de se transformer ! Thomas Jorberg se montre optimiste : « Cette discussion n’aurait pu avoir lieu il y a seulement 5 ou 10 ans. Ce sont nos clients qui mènent cette mutation. Ils savent ce qu’ils veulent et ce n’est certainement pas la maximisation la plus rapide de profits ».